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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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lot.
7 novembre.
Nos admirateurs. Il y a le critique de province qui nous découvre et, soudain, est enthousiasmé. Il fait une première étude dans le journal de sa préfecture. On le remercie comme il convient : « Ah ! si Paris comptait quelques critiques comme vous, la gloire serait moins tardive ! » etc., etc. Aussitôt, il se met en tête de nous lancer, de réparer l'injustice des hommes. Il vous demande : 1° votre photographie ; 2° votre biographie ; 3° vos oeuvres complètes ; 4° quelque chose d'inédit. Le tout paraîtra dans une grande revue internationale qu'il connaît.
Et il est très étonné qu'on ne lui réponde pas.
9 novembre.
Répétition de Don César de Bazan à la Porte-Saint-Martin.
    - Parbleu, dit Jean Coquelin, nous le savons bien, que cette pièce n'est pas écrite, et nous en pleurons tous des larmes de sang.
Il rit quand son père joue bien. Il lui donne des conseils, et Jean Veber trouve cela très touchant.
Quelle vie que celle de Coquelin ! On veut qu'il aime son métier comme s'il débutait, et il voit tout. Il dit : « Je suis le roi d'Espagne, de toutes les Espagnes ! » et, aussitôt après : « Qui est-ce qui m'a fichu une serrure pareille ? Elle ne marche pas ! » Il a voulu deux serrures, une pour chaque porte, avec deux clefs, et les deux clefs son différentes, et il s'embrouille. Il dit qu'il en a par-dessus plusieurs têtes, et il répéterait encore une fois toute la pièce avant d'aller se coucher.
Bernard nous présente, Veber et moi : deux inconnus, qui ne méritent qu'un « Ah ! parfaitement ! » Jean Veber complimente, et c'est à moi que Coquelin répond. Il pique sur moi.
- Nous, nous n'avons rien à dire. Nous jouons la pièce telle quelle. Nous en tirons ce que nous pouvons. Vous, vous n'êtes pas gobeur mais le public gobe. D'ailleurs, nous avons échenillé le style de Dumanoir et de d'Ennery. Oh ! Je suis sûr de mon public du dimanche.
Et le public peut être sûr de lui, car ils sont dignes l'un de l'autre : le rêve de Coquelin serait d'être un grand acteur populaire, mais il le réalisera difficilement.
    Son passage à la Comédie-Française l'a déjà trop poli. Il s'est laissé couper ses branches, son panache.
- Tristan, qu'est-ce que vous dites ?
C'est Coquelin qui entend causer Bernard et l'interpelle par-dessus la rampe.
- Comment se fait-il, dit Tristan, que le portrait du roi soit sur chaque pièce de monnaie d'Espagne, et que ni don César, ni la danseuse ne l'aient jamais vu ?
- Je ne regarde jamais la monnaie que je mets dans ma poche, dit Coquelin.
D'ailleurs, ce détail importe peu. Il suffit de ne pas en parler.
Il mettra des bas jaunes. Ceux-là sont gris et ne disent rien.
Un vague descendant de Dumanoir est venu réclamer un service de presse, a voulu assister à une répétition. Elle était presque finie. Il est resté longtemps encore, attendant la suite, et tout le monde se moquait de lui.
Un ballet de répétition. L'étoile, une Italienne qui a des cuisses admirables, le dos plat. Elle est laide, mais quelles jambes ! Elle porte une petite médaille qui la protège. L'autre soir, elle est tombée sur la scène.
- Ah ! dit-elle, j'ai grondé ma médaille. Je lui ai fait une scène épouvantable.
Et des danseuses qui ont des genouillères, par crainte du froid, des corsages de ville, des flanelles, des caleçons, des culottes de bicyclistes.
    Un rang de petits bonshommes qui portent des vases : on dirait d'une sortie d'école professionnelle de poterie. Et le maître de ballet qui suit l'étoile, geste pour geste, sourit, se penche, se hausse, arrondit les bras comme elle : on dirait de l'ombre de l'étoile, une ombre grotesque et en redingote.
Bernard a corrigé certains passages, et si bien que d'Ennery ne s'en est pas aperçu. Mon ami Tristan tutoie Jean. Il est là comme chez lui.
Bocks, choucroutes, jusqu'à ce que les chaises montent sur les tables et fassent des obscénités superposées, deux à deux, dirait Huysmans.
Ces notes que je prends chaque jour, c'est un avortement heureux des mauvaises choses que je pourrais écrire.
Jean Lorrain dit de Lambert qu'il a une voix de « ronde », qu'il parle comme on écrit « aronde ».
Baïe demande :
- Est-ce que le ciel est plus haut que le plafond ?
Elle n'aime pas à voir les scènes nautiques. Elle dit :
- Mais ils vont se noyer !
- Ils savent nager.
- Pourquoi qu'ils tombent dans l'eau ?
- Ils le font exprès pour amuser les petits enfants.
- Ce n'est pas drôle, dit-elle,

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