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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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dégoûte d'elle.
- Dans mon pays, le Languedoc, me dit Robert de Flers, les paysans font des testaments et disent : « Je donne à Pierre, à Paul. Je garde pour moi 500 francs », ce qui signifie qu'on leur dira pour 500 francs de messes.
Chaque année, ils élisent un nouveau Jésus. C'est n'importe qui, et tout le monde doit le saluer pendant un an.
A quatre-vingts ans j'écrirai un commentaire de mes livres, où je ferai la part de la postérité.
Sache donc que tu n'auras fait un réel progrès que quand tu auras perdu l'envie de prouver que tu as du talent.
30 janvier.
Il a l'esprit lourd, le chagrin lourd, la bonté lourde. Il a l'image et la métaphore « peuple ». Il est « peuple » jusqu'à dégoûter le peuple. Il ne comprend pas que le salut du peuple devrait être fait par des aristocrates. Il voit son monde artiste dans un bocal de pharmacien.
Et il ne faut pas confondre « peuple » et « paysan ». Je serais plutôt paysan, et je ne veux pas dire que je m'en glorifie. J'en profite quelquefois, et quelquefois j'en souffre.
31 janvier.
La critique ne doit pas s'écrire : on la parle. A quoi bon écrire ce qui est fait ?
    Seule, l'oeuvre d'art se fait plume en main.
Les professeurs ne se préoccupent que de se tenir au niveau de leur auditoire. Ils se défient de ce qu'on ne comprendrait pas. D'où, la médiocrité des Larroumet, des Doumic, des Deschamps, etc., et, quelquefois, de Lemaitre.
De Flers sort d'ici et m'annonce que Granier va jouer Le Plaisir de rompre, qu'elle le sait déjà par coeur, qu'elle en essaie des mots. Et Noblet, qui aime beaucoup tout ce que je fais, jouera probablement le rôle d'homme. Ainsi, tout ce mois je vais être malheureux et sot. Je m'écrie : « Quelle chance ! » et je ne vois pas en quoi je la mérite.
Moi, joué par Granier, qui, dit de Flers, ne demande pas à être payée ! Moi, joué par Noblet qui, dit de Flers, consent à ne toucher aucun cachet ! Me voilà perdu. Si, encore, je l'avais fait exprès ! Ah j'en ai, de la chance !
- Ecoute ! me dit Marinette. Tu la mérites. Tu passes de si mauvais moments.
- Lautrec est très amusant, dit Bernard. A chaque instant, il prononce le mot « technique » Il ne doit pas en savoir exactement le sens car il dit : « Voilà un vase qui est la technique de la forme coupe » et, d'un monsieur : « C'est la technique du jaloux. »
6 février.
Granier, Le Plaisir de rompre. L'air d'un garçon rasé frisé et roux. Une grave voix enrhumée.
- Moi, dit-elle, je ne suis pas une comédienne.
    Je joue comme ça.
Depuis Amants, elle n'a jamais rien lu comme Le Plaisir de rompre. C'est exquis, mais le public comprendra-t-il ? Je dresse l'oreille.
- Oh ! dis-je, il commence un peu à s'habituer à ma manière.
- Dès que j'ai lu votre pièce, me dit-elle, j'ai pensé : « Il faut que cet homme-là me fasse trois actes. C'est mon homme à moi. »
Aussitôt qu'elle ouvre la bouche, je lui dis :
- Comme vous êtes intelligente ! Je suis heureux de votre intelligence et de votre charme.
Moi parti, elle dira : « Il est rigolo, ce type-là ! »
7 février.
Un officier. Parce qu'il a une compagnie de soldats, il s'imagine manier des hommes.
La joie d'avoir travaillé est mauvaise : elle empêche de continuer.
Je ne veux gagner que de quoi manger, et je veux rester sur ma faim.
8 février.
Quelle drôle d'idée vous avez, Bernard, de nous faire dîner entre gens d'esprit ! Si vous vous voulez nous mettre en valeur, il faut faire dîner Allais avec des commis-voyageurs, vous avec des bourgeois, moi avec des paysans, et V... avec V...
9 février.
-Dîner Bernard.
    Allais en habit, avec une chemise bientôt ravagée.
- Je me donne beaucoup de mouvement, dit Bernard qui va et vient, pour avoir l'air d'un domestique mâle.
A l'oreille, il nous dit à quelle dame chacun de nous doit offrir le bras. Il a coupé des petits papiers pour mettre sur nos verres. Sur le sien il a écrit le maître. Il craignait de nous voir nous précipiter tous.
- Oh ! puisqu'il s'agit de vous, lui dis-je, ça ne froisse personne.
Arrive un petit poisson, et bientôt il est en miettes.
- J'ai mis une fois au Mont-de-Piété ma montre et ma chaîne, dit Veber, mais j'ai juré que je n'y remettrais pas les pieds.
- On ne les accepterait pas.
On parle de Londres où la vie coûte six fois plus cher qu'à Paris.
- Nous y resterons six jours au lieu de trente-six, dit Bernard. Il y a des hôtels pas chers, à la condition qu'on n'y couche pas et qu'on n'y mange pas,

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