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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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assez d'artistes comme ça ! Ils nous embêtent.
Il dit que le Gymnase ne jouera pas Rosine, la pièce de Capus. C'est trop gris, trop camaïeu. Les directeurs disent : « Il y a une femme qui vient à Paris avec dix francs en poche. Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse de ça ! »
Pauvre Capus ! Pauvre théâtre !
13 février.
Celui dont je parle est mort, et toi-même, lisant cette phrase, tu dis :
- Lui aussi est mort.
15 février.
Le Plaisir de rompre. - C'est bien théâtre. Nous allons au rendez-vous, Mayer et moi, chez Granier. Elle n'y est pas. Elle n'a prévenu personne, et son domestique ne sait rien. Quel plaisir ce serait de pouvoir lui dire : « Ma petite dame, rendez-moi mon manuscrit ! » Mais il faudrait être malin.
Mayer s'arrête pour admirer un grillage en fer forgé. Il trouve byzantines les tours du Sacré-Coeur.
    Il dit que, dans les grandes maisons modernes, on a l'air d'habiter des tiroirs.
Je lis mal, en digérant, et il remue sur sa chaise avec une sorte d'impatience qui me donne hâte d'en finir. Peu d'effet, ou pas. Toujours son horreur des hommes de lettres au théâtre. Très papa, très mari, très brave garçon, il trouve ravissant le rôle de Granier et ne dit pas un mot du sien. Il ne s'occupe jamais de sa mémoire, n'apprend ses rôles qu'en répétant, et il se trouve les savoir malgré lui.
Si jamais je fais quelque chose de bien au théâtre, ce sera une comédie de mauvais caractère.
18 février.
Hier, première répétition. Granier, rentrée tard du Bois de Boulogne, déjeune en chapeau. Rosseries.
De Flers raconte l'histoire d'un monsieur qu'on avait supplié d'être calme, qui donne à un autre, aux premiers mots échangés, un coup de poing en pleine figure, et dit ensuite :
- J'ai fait tout ce que j'ai pu.
Granier a dans son jardin un cerisier qui a rapporté trois cerises ; elle espère que, l'année prochaine, il en aura quatre.
On commence la lecture, Granier et Mayer séparés par la table, des bouteilles, des tasses de café et des odeurs de fromage.
Elle comprend vite et donne vite le ton. Mayer ira lentement et plus sûrement.
    Elle trouve des changements heureux dans la disposition de la lettre. Elle ne peut pas dire : « Déjà je songeais. » Je la remercie. Il ne restera bientôt plus rien de moi. Avec un égoïsme charmant elle me dit qu'elle compte jouer la pièce un peu partout et qu'il ne faut pas que je la publie.
Nous nous quittons, enchantés. Tout le monde sera bien.
Couru chez Rostand, par curiosité, pour qu'il me fasse voir son hôtel, mais il dit qu'il travaille, et ne me montre rien.
19 février.
Bientôt, on annoncera une pièce par Jeanne Granier et Jules Renard. Elle ne trouverait peut-être rien pour les autres, mais elle a l'intelligence de ce qui lui convient. Sa coqueline figure attire les mots qui portent. C'est une intelligence spéciale, mais c'est de l'intelligence, qui fait que j'éprouve un besoin de modestie. On ne répète que la moitié de la pièce.
22 février.
Ce mot d'une Anglaise : « Je veux vivre avec des regrets, non avec des remords. »
Granier, qui n'a pas lu Poil de Carotte, dit que je retravaille ma pièce comme Gondinet. Elle ne sait pas qui je suis, et je ne sais pas quelle chanteuse elle était. C'est comme une petite nuée qui passe sur son visage quand elle réfléchit, cherche un effet, n'écoute pas la réplique ; et son visage fermé comme une porte quand une de mes « trouvailles » ne lui plaît pas.
    Ils trouvent leurs effets au moyen d'un tas de petits mots plats : « Allons ! Eh ! ben, quoi ! » Ils détestent les phrases. Ce sont des acteurs, non des diseurs. Ils font des gestes, et n'aiment que les répliques où il n'y a rien.
A un passage, elle dit :
- Je voudrais rire, là !
Elle cherche ses intonations en dedans, et sa physionomie prend un air « ailleurs » ; puis, brusquement, la phrase saute dehors, accentuée comme il faut.
Mayer cherche sa phrase à l'extérieur. Il la répète cinq ou six fois de suite. Il la martèle contre son palais, la passe au laminoir de ses dents, et la redit telle quelle. Granier, qui la redit le moins possible, met de petits mots devant et derrière, que, respectueux de mon texte, je couperai plus tard à coups de ciseaux polis, mais sévères. Et elle explique ce qu'elle veut dire, raisonne, discute, substitue aux miennes des phrases qui ont plus de vulgarité, mais aussi plus de vie ; de sorte qu'elle a l'air de trouver plus que Mayer, mais ce n'est pas sûr.
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