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Journal de Jules Renard de 1893-1898

Journal de Jules Renard de 1893-1898

Titel: Journal de Jules Renard de 1893-1898 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Renard
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février.
Pour voir s'il est bon, un acteur regarde si son rôle est épais.
Dès qu'un acteur parle, il cesse de penser.
- Je n'ai été heureux d'avoir une jolie femme, dit-il, que quand je ne l'ai plus aimée. Alors, je l'ai regardée et je me suis dit : « Tiens ?
    Il vaut tout de même mieux avoir une jolie femme comme ça qu'un vieux meuble. »
- Victor Hugo a écrit Ruy Blas en dix-neuf jours, dit Bernard.
- Oui, mais il n'aurait pas écrit un chapitre des Caractères. C'est la différence qu'il y a entre une belle chose, et même sublime, et quelque chose de parfait. Le parfait est toujours un peu médiocre.
25 février.
Dîner Grosclaude. Lemaitre, avec son étonnante poignée de main. Ça doit bien le faire souffrir, de lever ainsi le coude ! D'ailleurs, il doit souffrir sans cesse de ce qu'il entend et de ce qu'il veut dire, souffrir parce qu'au lieu de lire une page de Pascal il se croit obligé de lire ce qu'on écrit de neuf. Et il lit tout, et il complimente de tout. Il est plus vieux aujourd'hui qu'il ne le sera jamais. Et je le vois qui pense à son toast. Il écoute, et répond l'oeil en dedans, et de continuelles rougeurs lui viennent à fleur de peau. Son visage est une tulipe intermittente. Il me conseille de faire une paysannerie en beaucoup d'actes avec le sujet banal de la fille de ferme violée, etc., etc. Oui, oui. Il prononce trois lignes de discours. Étienne, ancien sous-secrétaire d'État aux Colonies, parle ensuite de la France coloniale et des services que lui a rendus Grosclaude, qui écoute avec une apparente envie de rire, mais, au fond, très flatté. Grosclaude parle à son tour, restant assis et se jetant dans la bouche de petites croûtes de pain.
    Il a une charmante idée : c'est d'aller de groupe en groupe et de prouver à chacun que certaines parties de la France, le Centre, la Sologne, Neuilly même, sont aussi coloniales, et même plus, que Madagascar, aussi lointaines, et il semble s'excuser d'être allé aussi loin. Il me dit que j'y ferais des merveilles. Il y a tué, pour sa part, au moins vingt-cinq taureaux. Il a sur la tête une petite raie qui ressemble à un sentier de Madagascar, le sentier de guerre des Malgaches.
Gandillot me fait remarquer la différence qu'il y a, à notre désavantage, entre notre dîner et un dîner bourgeois.
- Aucune fusion, ici, aucune cordialité. Chacun pour soi. Avez-vous noté comme, dès le début, chacun a mis la main sur une chaise avec l'air de dire : « Je la tiens ! On ne l'aura qu'avec ma vie » ?
- C'est vrai, dis-je. Cette défiance vient de nos moeurs. Je n'aime pas à parler le premier à Lemaitre, parce que je m'imagine qu'il croit que je vais lui demander un article. Si je m'approche de Mirbeau, il se contractera tout de suite, par peur de ma rosserie légendaire. Et puis, il y a le hideux compliment. Des bourgeois ne pensent pas à s'en faire. Nous, nous ne nous préoccupons que d'en recevoir ; si nous en donnons, c'est toujours pour en recevoir.
Hervieu, peigné implacablement, comme ses pièces, me parle de Rostand qu'il aime parce qu'il le trouve dédaigneux et lointain et qu'il l'a entendu parler bien de moi.
    Parler bien d'un absent, Hervieu considère que c'est un acte de vertu. Il n'aime pas Jules Lemaitre, qui n'a excellé en aucun genre, sauf en critique. Il n'aime pas la critique, non qu'elle l'afflige personnellement, mais parce qu'elle persuade de croire le mal à ceux qui ne jugent pas par eux-mêmes. Il déteste la rosserie. Il ne comprend pas que notre rosserie, arrivée à ce degré, n'a plus d'importance. Elle n'est qu'une gymnastique de l'esprit. Elle nous est nécessaire comme l'habit. Nous ne dînerions pas sans elle. On est rosse par plaisir, pour s'amuser avec un joujou d'un maniement difficile, mais on ne veut de mal à personne.
Barrès avait l'air d'un Malgache ramené par Grosclaude, mais c'était tout de même le grand homme de la soirée.
Parfois, je m'imagine que, pour mettre de l'unité dans ma vie, je devrais entreprendre une Histoire de France en vingt volumes.
26 février.
Une modestie savamment retournée, comme une crème.
Après la répétition d'hier, sentant peut-être que j'ai quelque méfiance :
- Les auteurs, au début, me dit Mayer, ont tous peur. Ils se demandent s'ils m'ont bien donné le rôle qu'il me fallait. Ils doutent, comme moi, d'ailleurs, car je suis très lent. Je marche comme une taupe dans un rôle. Mais, quand j'arrive à la lumière, j'espère que tout y est ; et

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