Journal Extime
toujours avoir présent à l’esprit ce proverbe coréen (que je viens d’inventer pour les besoins de la cause) : les petites trahisons font les grands mariages. »
Alphonse Allais : Oui, Monsieur, j’ai bien reçu votre lettre. Je l’ai même parcourue d’un derrière distrait.
Quand on s’étonne de l’amertume exhalée par les écrivains du XIX e siècle – Flaubert, Baudelaire, Maupassant – avant de les taxer d’affectation, il faut essayer d’imaginer leur solitude morale dans la société de leur temps. La bêtise et la lâcheté s’y étalaient avec une arrogance naïve. Indiscutablement depuis cent cinquante ans le nombre des interlocuteurs possibles s’est considérablement accru. C’est n’avoir rien à dire que de n’avoir personne à qui le dire. Le faste dont voulaient absolument s’entourer des hommes comme Balzac, Dumas, Wagner, etc. n’était sans doute qu’une réplique à l’humanité bornée qui les étouffait. « Puisque mes œuvres n’ont pas accès à ton cerveau, que mon train de vie t’impose du moins le respect. »
Robert (sept ans) m’avoue n’avoir aucune expérience directe ou indirecte de ce dont les contes, le cinéma, la TV, etc. ne cessent de lui rebattre les oreilles : amour, désir, jalousie, chagrin et toute la carte du Tendre. J’ai du mal à admettre cette virginité sentimentale. Peut-être n’a-t-il pas encore perçu la correspondance des sentiments qu’il éprouve et de ces mots qu’il entend ? Par le canal de la fiction, le discours amoureux est enseigné aux enfants avant toute expérience. C’est un moule vide dans lequel ils n’auront plus, le moment venu, qu’à couler leurs sentiments. Il y a sans doute une période intermédiaire où les sentiments vécus ne sont pas identifiés par l’enfant et tardent à remplir le moule. Jusqu’au jour où, dans une illumination, l’adolescent se dira : « Ah c’est donc cela l’amour ! Je n’en avais aucune idée. »
Une inconnue m’envoie son manuscrit. Elle explique : « J’écris parce que, quand je parle, personne ne m’écoute. » Oui, mais qui va la lire ?
L’amour cannibale. Issei Sagawa, le Japonais qui a tué et mangé une étudiante hollandaise, ne sera pas jugé. Reconnu dément et donc irresponsable aux termes de l’article 64 du Code pénal, il est libéré et renvoyé au Japon. Le flic convaincu qu’il a assassiné la jeune fille lui dit en fouillant son studio : « Tu l’as tuée hein ? Tu vas te mettre à table ? » Sur quoi il ouvre le réfrigérateur et tombe dans les pommes en découvrant les restes de la victime soigneusement découpés. Explication d’I.S. : « Je ne voulais pas la tuer. Je l’aimais. Je voulais simplement la manger ! » Déclaration du père du cannibale : « C’est de notre faute. Sa mère et moi, nous l’avons trop gâté ! »
Implosion, imploser. De plus en plus fréquemment employés. On songe à un cyclone. Le cyclone est une dépression atmosphérique très circonscrite que les vents ne parviennent pas à combler, parce qu’ils sont entraînés dans un mouvement giratoire autour de l’œil du cyclone. C’est une belle image de l’homme possédé par un désir ardent, lequel, au lieu de se satisfaire purement et simplement, reste inassouvi et devient le moteur d’un mouvement intense des choses autour de l’homme et de l’homme lui-même.
L’incroyable tribulation de L.D. Ce Carmarguais ne va jamais à Paris. Il s’y trouve pour une fois et traverse la rue des Pyramides au niveau où elle rejoint l’avenue de l’Opéra. Une voiture fauche tous les piétons pour la simple raison que son conducteur vient de mourir d’un infarctus. L.D. a les deux jambes broyées. Il se traîne depuis sur des béquilles.
Entendu à la radio : « La psychanalyse a un inconscient, c’est la judéité. Freud a écrit qu’il fallait interpréter les rêves, comme on déchiffre des textes sacrés. »
F. Mitterrand s’étant annoncé pour déjeuner au presbytère, ma mère présente, exprime sa stupeur : « Mais enfin pourquoi le président de la République viendrait déjeuner chez toi ? – Parce que je suis célèbre. » Elle, après un silence : « Tu ne me feras jamais croire une chose pareille ! »
Je pense que le souvenir de ma scolarité chaotique l’a persuadée que je suis voué à l’échec. Je la vois un dimanche matin suivre la messe devant la TV.
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