Journal Extime
une coupe sculptée au rasoir. Il sort de là éberlué, très inquiet des réactions de ses copains. C’est une véritable initiation. « Tes copains, ils vont se moquer de toi, mais au fond ils seront jaloux ! »
Métro Belleville. Au fond de l’étrange petite rue Denoyez se trouve un « gymnase » de culturisme. Au premier étage, les hommes. Au second, les femmes. La plupart d’origine africaine. Psychologie du « culturiste » : la culture et donc finalement le culte de ses propres muscles comme remède à l’angoisse d’une certaine solitude. Le salut par le narcissisme. À quoi s’ajoute la fatigue de l’effort répété, assimilable à une ascèse.
Je me souviens d’une enquête dans un journal sur le sujet. Sous la photo d’un homme nu dans une pose ridiculement affectée, il y avait cette légende : « Sa femme l’aime pour son esprit. »
En 1885, Sigmund Freud arrive à Paris pour suivre les cours de Charcot à la Salpêtrière. On dit même qu’il y eut l’amorce d’une idylle entre le jeune médecin viennois et la fille de Charcot.
De Charcot à Freud, on passe de la médecine du regard à une médecine de l’écoute. Charcot examine, exhibe en public et finalement hypnotise son malade. Freud lui ne le regarde pas. Il l’écoute parler sur le fameux divan. Cela donne deux courants, l’un orienté vers la psychose où ce que dit le malade ne compte pas parce qu’il est fou, l’autre vers la névrose où tout est contenu dans le discours du malade.
Visite de l’hindouiste Alain Daniélou. Il me donne quelques conseils sur l’Inde et mes rapports avec les Indiens. Je suis doublement intouchable, d’abord comme né hors de la péninsule, ensuite comme écrivain, artisan assimilable à un plombier, un menuisier ou un barbier. Si je touche un brahmane, il ne dira rien, mais cela lui coûtera huit jours de purifications et de macérations. Si j’entre dans sa cuisine, tous les aliments s’y trouvant devront être jetés. Si je respire ses fleurs, il devra les couper et les jeter. Il me parle aussi de l’implicite qu’enveloppe toute langue. « Si je pense en français ou en anglais qu’une veuve s’est immolée sur le bûcher de son mari, je suis indigné par la barbarie de ces gens. Si je pense la même chose en hindi, je suis ébloui par la sainteté de cette femme. » Plutôt que ceux de Madras et de Pondichéry que j’ai rencontrés, il me recommande les Tamouls du Kerala.
Les vies gigognes.
C’est un petit jeu qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux, mais qui excite l’esprit agréablement. Il s’agit de rapprocher plusieurs hommes célèbres d’un même domaine – politique, littérature, peinture, musique, etc. – dont les vies par leurs dates s’emboîtent les unes dans les autres.
Exemples :
Talleyrand (1754-1848) – Barras (1755-1829) – Napoléon (1769-1821).
Chateaubriand (1768-1848) – Stendhal (1783-1842) – Byron (1788-1824).
Goethe (1749-1832) – Schiller (1759-1805) – Novalis (1772-1801).
Ingres (1780-1867) – Delacroix (1798-1863) ou Géricault (1791-1824).
Cézanne (1839-1906) – Gauguin (1848-1903) – Van Gogh (1853-1890).
Victor Hugo (1802-1885) – Gautier (1811-1872) – Baudelaire (1821-1867).
Etc.
On mesure mieux ainsi le privilège dont jouissent ceux à qui fut donné une longue vie, englobant et comme possédant leurs confrères plus jeunes et moins avantagés. Mais aussi le prestige des vies brèves auxquelles furent épargnées les disgrâces de la vieillesse. Il est également amusant d’étudier la nature des relations qui s’établirent entre ces trios. Par exemple Stendhal avait une immense admiration pour Byron, qui incarnait tout ce qu’il aurait voulu être – physiquement et littérairement –, et un sérieux mépris pour « la phrase » de Chateaubriand. Lequel traitait Byron de haut, estimant qu’en écrivant René il avait devancé et rendu inutile l’œuvre de Byron. Je ne connais pas de jugement de Chateaubriand sur Stendhal.
À noter le cas de Nicolas Malebranche, dont les dates sont les mêmes que celles de son roi Louis XIV (1638-1715).
Je rappelle également ce jugement de Paul Valéry sur Hugo et Baudelaire : Hugo est certes un plus grand poète que Baudelaire, mais Baudelaire est un poète plus important que Victor Hugo.
Conte fantastique : l’Œil de bronze. Le narrateur est fasciné par l’anus de telle personne de son entourage. Aspiré par
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