Journal Extime
à gauche deux modestes prie-Dieu sur lesquels sont accroupies deux femmes. Le prêtre se penche alternativement vers l’une puis vers l’autre. Chacune dès que pourvue de son absolution se lève et est immédiatement remplacée. On songe à un énorme scarabée doré fécondant d’interminables files de femelles exsangues et grises.
Sur le pont de la Weinplatz de Zurich. Un garçon blond, vêtu de noir, évolue et tournoie sur des rollers, tenant à la main un lecteur de cassettes. Il pose sa boîte à musique, et danse, danse, danse. Puis il la cueille au passage, s’envole, disparaît comme un grand et fragile oiseau de nuit. Impression de solitude heureuse, guérie par la folie.
Citations :
A. Gide : Je veux descendre dans la tombe encore chaud de volupté. ( Carnets d’Égypte )
Sur Léautaud : Il ne voit pas loin, mais avec quelle netteté !
Voltaire : Je ressemble aux petits ruisseaux, je suis clair parce que je ne suis pas profond.
Visite d’une école. Sur les murs blancs fraîchement repeints cet été, les petites mains sales laissent des traces qui sont la marque de la vie et de la tendresse dans cette maison austère.
Anatole France : Grâce à ses collines, Rome se voit de Rome.
Et sur son lit de mort : C’est donc cela, mourir ?
Je dis aux enfants d’une école : « Écrivez chaque jour quelques lignes dans un gros cahier. Non pas un journal intime consacré à vos états d’âme, mais au contraire un journal dirigé sur le monde extérieur, ses gens, ses animaux et ses choses. Et vous verrez que de jour en jour, non seulement vous rédigerez mieux et plus facilement, mais surtout vous aurez un plus riche butin à enregistrer. Car votre œil et votre oreille apprendront à découper et à retenir dans l’immense et informe magma des perceptions quotidiennes ce qui peut passer dans votre écriture. De même que le regard du grand photographe cerne et cadre la scène qui peut faire une image. »
Françoise Sagan (d’après Madeleine Chapsal : « Envoyez la petite musique ») : Quand je serai vieille, je paierai des jeunes gens pour m’aimer, parce que l’amour est la chose la plus douce et la plus vivante, la plus raisonnable. Et que le prix importe peu.
L’idée ne lui vient apparemment pas que la vénalité donne à l’amour un goût particulier, un peu âcre, certes, mais par la simplification et le dénuement qu’elle fait subir au désir, tout à fait irremplaçable.
Une prison, ce n’est pas seulement un verrou, c’est aussi un toit. Méfiez-vous des toits.
Politique. Henri Queuille (incarnation de l’immobilisme radical-socialiste) : Il n’est pas de problèmes, si complexes soient-ils, qu’une absence de décision ne puisse résoudre.
Lu le livre de Laure Murat sur La Maison du docteur Blanche (Lattès). Esprit Blanche fonde en 1821 un asile d’aliénés « doux » qui présente les apparences d’une pension de famille. Esprit Blanche, puis son fils Émile y reçoivent et y soignent par un traitement qui annonce la psychanalyse Gérard de Nerval, Marie d’Agoult, Théo Van Gogh, Charles Gounod, Guy de Maupassant, etc.
Retenu cette « histoire de fou » dont l’énormité m’enchante : il s’agit d’un médecin accoucheur. Il se trouve dans un bureau de poste et reste un bon moment en arrêt devant un guichet. Finalement l’employé intrigué passe la tête par le guichet pour voir ce qu’il veut. Le médecin se précipite, prend la tête à deux mains et tire dessus en criant : « Poussez, Madame, poussez, je tiens la tête du bébé ! »
Vendredi 15 mai. Vendredi est mon jour de la semaine préféré. C’est la fin de la semaine et comme sa conclusion. Je suis né un vendredi. J’ai fait mon premier service de presse le vendredi 9 mars 1967 pour mon roman Vendredi.
Le mois d’avril a été glacé. Après ces longues froidures, l’été s’installe brutalement par une touffeur qui s’épanouit en orage. Les premières fleurs de marronnier jonchent le sol. Il fait sensiblement plus chaud dehors que dans la maison. La nuit tombe avec une brume tiède.
Histoire juive. Le Messie est enfin arrivé. La communauté juive lui fait fête. Seul un vieux rabbin a l’air préoccupé. Il prend le Messie à part et lui dit : « Si quelqu’un vous demande si vous êtes déjà venu sur la terre, vous ne répondrez pas. »
Je relis La Vie d’un bon à rien de Joseph
Weitere Kostenlose Bücher