Journal Extime
de reproduire ma nouvelle Un bébé sur la paille (recueil Le Médianoche amoureux ). J’y raconte en effet que le déficit de la « sécu » provient du fait que depuis des années déjà les bébés ne naissent plus chez les parents, comme jadis, mais en clinique. Donc entourés de blouses blanches, d’odeurs de désinfectants et de bruits d’appareils sanitaires. Il en résulte une « empreinte natale » qui les prédispose à la pharmacomanie. Toute leur vie ils hanteront les pharmacies pour se bourrer de médicaments inutiles et néfastes. Je proposais que la sécu fasse les frais – bien moindres au total – de faire naître les bébés dans le lieu choisi par la maman, galerie du Louvre, sommet du mont Blanc, île de Sein, troisième étage de la tour Eiffel, wagon de chemin de fer, etc. afin de varier autant que possible cette fameuse « empreinte natale ».
Cinq heures durant, je demeure assis à côté du conducteur d’une rame de la ligne 2 (Nation-Dauphine). C’est pour mon prochain roman. Ces expériences indispensables pour écrire mes histoires ne me déçoivent jamais. Je regarde et j’écoute. C’est toujours intéressant et inattendu. J’ai ainsi pour Les Météores arpenté les dépôts d’ordures et séjourné dans un asile pour enfants handicapés, pour La Goutte d’or traversé le Sahara et passé une matinée dans un abattoir à Chartres, etc. À cela s’ajoute que les travailleurs ainsi approchés sont toujours heureux qu’on s’intéresse à eux et à leur travail – surtout quand ils se sentent plus ou moins méprisés. C’est le hasard qui ma mis sur la ligne 2, mais je ne le regrette pas. Sa partie aérienne – Stalingrad, Barbès, etc. – très surprenante vue de la « loge » du conducteur, traverse les quartiers les plus populaires de Paris et la ligne s’achève en beauté avenue Foch, le haut lieu parisien du chic et de la richesse. Mon conducteur me révèle que son obsession est le suicide d’un voyageur – il y a en près de trois cents par an – et l’affreuse boucherie qui en résulte. Certains conducteurs traumatisés ne peuvent plus reprendre leur travail. Il faut parfois faire venir une grue pour soulever le wagon sous les roues duquel se trouve le cadavre, etc. Quant à son rêve, il est simple : être versé sur la ligne 1 (Neuilly-Vincennes) à cause des pneus. « Les pneus, ça change la vie ! », dit-il avec exaltation.
Après les douleurs à la rate qui me promettaient la mort d’Albert Dürer, les rhumatismes aux deux pouces qui m’empêchaient de saisir quoi que ce fût, la pointe aiguë entre les omoplates, annonciatrice d’un rétrécissement des coronaires, et un rhume qui m’a transformé en fontaine de morve, voici qu’une douleur sciatique me torture de la fesse tout le long de la jambe gauche. Ma carcasse ne sait pas quoi inventer pour exhaler sa hargne. Un jour elle inventera de crever.
Jules Renard : Cimetière. C’est par les sapins que se plaignent les morts.
La guerre, c’est peut-être la revanche des bêtes que nous avons tuées.
Entendu Philippe Sollers raconter que la sœur de sa mère avait épousé le frère de son père et habitait une maison voisine de la leur qui la reproduisait exactement. Familles-miroirs.
La présence dans la maison pour quelques jours d’un hôte même parfaitement discret éveille inévitablement en moi des friselis d’agacement qui risqueraient très vite de tout gâter. Pourtant mon invité ne fume pas, n’est pas corpulent, ne parle pas trop, mais suffisamment tout de même, etc. L’agacement comme facteur de destruction des couples. Évidemment tout s’arrange si l’on couche beaucoup et bien ensemble. Mais sinon… Dans Électre de J. Giraudoux, la reine Clytemnestre explique qu’elle a assassiné son mari le roi Agamemnon, non pour mettre son amant Égisthe à sa place, mais parce qu’il dressait en l’air le petit doigt quand il prenait sa tasse de thé ou mettait sa couronne sur sa tête. De minuscules travers provoquent l’attendrissement quand il y a entente physique, mais dans le cas contraire, ils peuvent susciter une irritation explosive.
Visite à l’étrange Georges Roditi que j’avais connu quand il était directeur littéraire des éditions Plon. Toute sa vie il a écrit et réécrit un petit livre intitulé L’Esprit de perfection. Il est enchanté quand je lui apprends que j’ai l’intention de le faire entrer
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