Journal Extime
obstacle que la foi religieuse rencontre en moi, c’est ma crédulité. La foi ne peut naître et croître que dans un milieu spirituel sceptique, rationnel, circonspect, obsédé par la différence existant entre le vrai et le faux. Mais moi, je crois tout et n’importe quoi, les contes de fées, la mythologie, les inventions des poètes et des peintres. L’authenticité historique est dépourvue de sens à mes yeux. Dès lors la foi religieuse confondue avec toutes ces efflorescences ne peut prendre racine ni affirmer la prééminence sans laquelle elle n’est pas.
André Breton marqua d’un « beau signe blanc » l’année 1924 qui « coucha ces trois sinistres bonshommes, l’idiot, le traître et le policier », autrement dit Loti, Barrès et France. Il aurait pu ajouter pour justifier son « signe blanc » la naissance de Michel Tournier. Mais comme Alphonse Allais s’en étonnait, on remarque toujours la mort des grands hommes, jamais leur naissance.
Notes sur la fièvre.
Le corps est en ébullition et l’âme, penchée sur cette marmite de sorcière, observe passionnément le phénomène. Musique, lectures, visites, etc. sont repoussées comme distractions inopportunes. J’ai autre chose à faire. Quoi ? C’est là le mystère. La fièvre du corps absorbe l’esprit, l’empêche de s’ennuyer, de rêver, de s’évader. Ce sont là fantaisies de convalescent. Il semble que le corps exalté par la fièvre, l’esprit débilité par la maladie se rapprochent et s’arrêtent fascinés l’un en face de l’autre. C’est peut-être l’équivalence de la vie animale. Les animaux ne manifestent jamais l’ennui, le besoin de combler des heures vides par quelque activité inventée. Le propre de l’homme est la séparation de l’âme et du corps – que la maladie rapproche.
Je dîne d’un jus d’orange. Je jette un bref coup d’œil à la télévision, puis je me retire dans ma chambre heureux de ces douze heures de tête-à-tête avec ma marmite qui m’attendent. Je ne mange presque rien. Je bois de grandes quantités de thé au citron. Or au bout de cinq jours de ce régime, je n’ai pas perdu un gramme. Il faut admettre que tout ce liquide s’accumule en moi et me ballonne.
Puis la fièvre ayant cessé et un timide appétit ayant reparu, je perds du poids à grande allure, cinq kilos en trois jours. Visiblement tout ce liquide accumulé et retenu en moi par la fièvre s’évacue. Je suis une baignoire qui se vide. Jusqu’où cela ira-t-il ? Compte tenu de mon poids, je calcule qu’en trois semaines de ce régime j’aurai complètement disparu.
Fonction de la maladie. Il convient pour se bien porter d’être aussi parfois malade. Cela tient l’organisme en état d’alerte. Mon père disait : « Je suis comme les chevaux. Quand je me coucherai, ce sera pour mourir. » Nous ne l’avons jamais vu malade. Il s’est effondré en quelques jours sous le coup de plusieurs maladies qui l’ont surpris en plein ahurissement.
Sieste par grosse chaleur. Pour n’être pas importuné par les mouches, deux moyens : l’obscurité (à l’opposé des moustiques, elles ne volent pas dans l’obscurité) et un courant d’air (ventilateur).
Soleil intense. Une petite fille coiffée d’un chapeau de paille immense s’accroupit et se recroqueville pour se mettre tout entière à l’ombre de ses larges bords.
Seigneur fais-moi arriver un grand amour qui illumine et saccage ma vie !
Dans le calme du cœur et du haut été, je ne formule pas cette prière sans trembler, sachant d’expérience que mes vœux pour peu qu’ils soient ardents sont toujours à la longue exaucés.
SEPTEMBRE
Le cœur artificiel. Ce qui est remarquable, c’est qu’il ne cherche nullement à imiter le cœur naturel. Il est fabriqué avec des céramiques de carbone biocompatibles, c’est-à-dire ne suscitant aucune réaction des tissus vivants qui l’entourent. Cette céramique est poreuse et colonisable : logée dans l’organisme, elle se fait oublier et se coule dans le décor, telle une épave envahie par les coraux des grands fonds océaniques. Pas plus que les avions ne battent des ailes comme les oiseaux, ce cœur ne battra comme un cœur naturel. Ce sera une pompe rotative envoyant dans les artères un flot continu. La roue – qui n’existe pas dans la nature – se substitue aux processus naturels discontinus.
Henry de Montherlant : Quand je m’observe, je
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