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Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Tournier
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terrible avec le sexe, c’est que sa satisfaction ne le rassasie pas, mais l’excite au contraire de telle sorte que plus on baise plus on a envie de baiser. Comparer la soif naturelle qui se calme avec l’absorption de la quantité de liquide nécessaire à l’organisme et la soif morbide de l’alcoolique qui se creuse d’elle-même sous l’effet de sa propre satisfaction. Mais y a-t-il un désir sexuel « normal » qui s’apaise pour longtemps une fois satisfait ? Chez l’animal peut-être. Chez l’homme, il y a trop de cerveau là-dedans.
     
    En descendant dans le parking souterrain, je perçois une sorte de hululement de sirène. Je me dirige vers la source du bruit et je vois une belle Mercedes blanche dont on a défoncé le pare-brise pour un vol à la roulotte. Des débris de verre jonchent le capot. Le signal d’alerte ne cesse de gueuler. On dirait vraiment une bête blessée qui se plaint.
     
    Une idée de pièce de théâtre. Casanova devenu vieux, perclus de rhumatismes et impuissant, faisant fonction de bibliothécaire au château de Dux-en-Bohême, est devenu le souffre-douleur des servantes du château qui vengent toutes les femmes séduites et abandonnées par lui. D’autre part, écrivant ses fameux Mémoires, il fait revivre les épisodes les plus brillants de sa carrière amoureuse. Contrepoint présent-passé.
     
    Le premier mouvement du Quatrième Concerto pour piano de Beethoven me revient avec une insistance lancinante, et toujours avec la même surprise émerveillée. Je ne peux m’habituer à la beauté de cette musique. En même temps, elle se donne comme l’équivalent sonore de mon prochain roman. En l’écoutant, je me dis : « Mais bien sûr, mais voilà, c’est comme cela qu’il faut écrire ! » Il me semble que le roman est là tout entier et que je n’ai qu’à traduire cette musique en mots, comme d’une langue étrangère parfaitement maîtrisée.
     
    Examen cardiologique à l’hôpital de Bligny. Je me porte comme un charme. On me donne en souvenir mon électrocardiogramme, délicate calligraphie – tremblante et cependant parfaitement régulière – que mon cœur a tracée au rythme de ses battements. Donc je n’ai rien, je me porte bien. Je n’ai que la mort en moi dont je sens la présence et qui ne se laisse pas un instant oublier. (Me revient le mot de Sacha Guitry peu avant sa mort à son médecin qui venait de lui faire un rapport des plus rassurants sur sa santé : « En somme, docteur, je meurs guéri. »)
     
    Il pleut. Penché par la lucarne du grenier, je constate que l’eau stagne dans le chéneau. J’y ramasse à pleines mains une bouillie dorée : les pistils des tilleuls qui dominent la toiture.
     
    Périodiquement un oiseau vient percuter le carreau de la fenêtre de la cuisine. Généralement il repart indemne. Souvent il tombe assommé sur le sol et reprend son vol quelques minutes plus tard. Une seule fois j’ai ramassé un cadavre. Je trouve parfois un duvet collé à la vitre. Il est souvent vert, preuve qu’il s’agit d’un verdier. Ce doit être affaire de reflet et de lumière. Une seule fenêtre de la maison provoque cet accident.
     
    Citation de Simon le Pathétique de Jean Giraudoux : « Chaque soir dans ton lit, répète-toi que tu peux devenir président de la République. Le moyen en est simple, il suffit que tu sois toujours le premier partout. »
    Oui, c’est cela la démocratie. Malheureusement ce processus normal et paisible ne donne que des Albert Lebrun et des René Coty. Pour que naisse un de Gaulle, il faut les catastrophes nationales de 1940 et 1948.
     
    L’illusion de la coïncidence. Cette notion ne résiste pas en effet à l’examen le plus superficiel. Je m’aperçois qu’assis dans le métro, j’ai à côté de moi un monsieur qui s’appelle Michel Tournier. Je m’émerveille de la coïncidence. J’ai tort, car pour m’émerveiller il faut que j’oublie les millions de cas où mon voisin de métro s’est appelé Dupont ou Durand.
     
    La journée est si belle, le jardin si radieux et la maison si avenante que j’éprouve le besoin de commémorer cet instant par une nature morte. Je dispose sur ma table un chandelier, un verre, une carafe et une corbeille contenant une tomate, un avocat et des cerises, et je photographie tout cela en couleurs et en noir et blanc. Bien entendu j’ai fixé mon appareil sur un trépied pour augmenter le « piqué » de l’image. Je pense

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