Journal Extime
Le public lui fait une ovation.
Les deux scènes ne manquent pas d’affinité. Est-ce l’esprit de Melbourne ?
Monaco. Dans le hall d’entrée de l’hôtel de Paris, face à la porte tournante, une miniature en bronze de la statue équestre de Louis XIV de Versailles. Le genou levé du cheval est poli et usé par la caresse des joueurs du casino qui pensent que ce geste leur portera bonheur.
Dans ce même hall, j’aperçois une pancarte : « Salle 4, Congrès des plumes et duvets. »
Conte monégasque
Un joueur a risqué et perdu toute sa fortune au casino. Il tente de se suicider. On le sauve. Il demande et obtient une audience du Prince et lui tient à peu près ce langage : « J’ai donné toute ma fortune à votre casino. J’ai voulu me tuer. Vous m’en avez empêché. Dès lors ma vie vous appartient. Que comptez-vous en faire ? »
Le prince, despote éclairé, est frappé par la justesse de ce raisonnement. Il décide de créer une « Fondation des ruinés du jeu », sorte d’asile pour anciens riches.
Pierre Chabert, ex-officier de cavalerie, fait de mon Fétichiste une critique qui me touche plus que toutes les analyses littéraires. Il me fait observer qu’un cavalier ne va pas « à l’exercice », mais « au travail », qu’il n’a pas de « capote », mais un « manteau », et que ledit manteau se roule non devant le pommeau de la selle – place des sacs d’avoine –, mais derrière le trousquin.
J’avais apporté à Yves Navarre un petit chat, produit de ma faune domestique qu’il a appelé Tiffauges, du nom du héros de mon Roi des Aulnes. Je vais le voir six mois plus tard et je lui écris : « J’ai été très impressionné par Tiffauges. Il est certain que ce chat absolument quelconque quand je te l’ai apporté est devenu par l’attention intense que tu lui portes un animal hors du commun et en somme un homme exceptionnel. Il possède un brio, une jeunesse, un rayonnement, une assurance que je n’avais jamais rencontrés chez un animal. Et s’il est absolument insupportable parfois, c’est dans l’exacte mesure où tu attends cela de lui pour combler certain vide. » Cela me rappelle le mot d’une amie devant une berce du Caucase qui avait pris dans mon jardin des proportions monstrueuses : « C’est parce que vous l’aimez, et elle le sait. »
Plus tard Yves Navarre devait me dire : « Tu m’as rendu un immense service en me donnant Tiffauges, mais tu m’as profondément détruit en me faisant avoir le prix Goncourt ». Je m’efforce cependant de croire que je ne suis pour rien dans son suicide.
Comment étaient il y a deux mille ans la campagne, la ville, les rivages même, c’est difficile de l’imaginer à coup sûr. Ne nous dit-on pas que la Grèce antique était couverte d’épaisses forêts et que c’est l’action conjuguée de la construction navale (Venise) et de l’élevage des chèvres qui lui a donné son aspect pelé d’aujourd’hui ?
Du moins y a-t-il un spectacle qui n’a pas varié depuis des millénaires : le ciel. Quand nous levons les yeux, nous sommes assurés de voir les nuages tels que nos ancêtres les plus éloignés les voyaient exactement. Est-ce bien sûr tout de même ? Car il est possible que les nuages en eux-mêmes n’aient pas changé depuis des millénaires. Mais le regard des hommes ? S’agissant surtout d’un milieu aussi fertile en créations religieuses et mythologiques que le ciel et aussi plastique à l’imagination que les nuages, comment pouvons-nous savoir ce que les hommes d’il y a deux mille ans voyaient en levant les yeux ?
J’entre chez M.L. et son chien se précipite sur moi en aboyant. J’ai un mouvement de recul. M.L. : « De quoi as-tu peur ? Tu sais bien qu’un chien qui aboie ne mord pas ». Moi : « Oui, mais lui le sait-il ? »
Autant j’ai vécu dans mon enfance les origines bourguignonnes de ma mère – née Fournier à Bligny-sur-Ouche, Côte-d’Or – autant je suis peu renseigné sur celles de mon père. Sa famille est originaire de Lalinde (trois mille habitants, sur la Dordogne). La mairie me renseigne. Mon grand-père Ambroise Tournier, verrier comme son père, était né le 26 janvier 1861 de Joseph Tournier, vingt-huit ans, et de Marguerite Feytaux, vingt-deux ans, sans profession, domiciliés au lieu-dit Rottesack. Cet Ambroise épousa Émilie Renoulet, qui mourut de la tuberculose en 1905. Il émigra à
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