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Journal Extime

Journal Extime

Titel: Journal Extime Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Tournier
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jours, froid sec et ensoleillé. Chaque matin une chouette beige et blanche se perche en évidence sur une branche du grand sapin – toujours la même – et prend un bain de soleil en ébouriffant ses plumes. Nullement craintive. Je l’approche pour la photographier avec un téléobjectif. Elle tourne vers moi sa tête plate et ronde comme un disque emplumé, puis la détourne lentement, comme après m’avoir accordé toute l’attention que je mérite.
     
    Je me rends dans une église de banlieue où Lanza del Vasto se recueille. Nous allons déjeuner ensemble dans un bistrot voisin. Il est farouchement végétarien. Il regarde avec horreur le biftèque qui se trouve dans mon assiette et me dit : « Vous mangez des plaies. »
     
    L’Europe a lancé deux vagues d’immigrants à la conquête du monde. Aux XVI e et XVII e  siècles en direction des deux continents américains et de l’Australie. Au XIX e  siècle en direction de l’Afrique et de l’Asie. La première vague a réussi à faire souche et à s’implanter. Pourquoi ? Parce que les nouveaux venus ont décimé la population autochtone – Indiens Peaux-Rouges, Aborigènes australiens, etc. – par les armes et par des maladies contre lesquelles elles étaient sans défense. La seconde vague a échoué et a dû se replier sous l’effet de la « décolonisation ». Pourquoi ? Parce quelle a apporté aux populations autochtones des progrès techniques et médicaux qui ont provoqué leur croissance et leur multiplication.
    Tout cela est profondément immoral.
     
    Jalousie. Il y a une jalousie intellectuelle, faite d’amour-propre et de sens de l’honneur qui agit comme un impératif catégorique kantien. À l’opposé Spinoza définit une jalousie viscérale. C’est, selon lui, la souffrance de l’homme obligé d’associer à l’image du corps de la femme qu’il aime celle des parties sexuelles d’un autre homme. Il évoque aussi la jalousie des pigeons, soulignant ainsi le côté animal de ce sentiment. Colette rapporte ce gémissement de son amie Polaire que son amant venait de plaquer : « Ah le salaud ! Qu’est-ce qu’il sentait bon ! »
     
    Eugène Labiche : J’appelle égoïste celui qui ne pense pas à moi.
     
    Bernard Shaw : Ne faites pas aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent, car rien ne vous prouve qu’ils aient les mêmes goûts que vous.
     
    Pour vivre à deux, il importe plus de bien dormir que de bien coucher ensemble.
     
    L’enfant qui « boude ». Je ne sache pas que les psychologues se soient jamais intéressés au phénomène. Et pourtant ! Il s’agit d’une sorte de refus généralisé du monde extérieur. Le boudeur ne veut plus rien voir ni entendre. Il se fige, la tête dans les mains ou contre le mur, et ne répond à aucune parole. Sorte de fausse catalepsie dont il sort subitement sur un mystérieux signal et qui paraît ensuite frappée d’amnésie. La part de comédie qu’il y a dans la bouderie loin de la dévaluer ajoute à sa complexité.
     
    Dîner avec H.P. à l’hôtel Storchen de Zurich. Une femme se précipite sur lui le prenant visiblement pour un autre. « Ça recommence ! » gémit H.P. Il nous explique que ce genre de méprise lui arrive de plus en plus souvent. Au lieu d’agir de façon répulsive sur les images-souvenirs que les autres projettent sur lui, il les accueille et favorise ainsi le mécanisme de la reconnaissance. S’il interroge les personnes qui l’ont « reconnu », il constate qu’elles hésitent entre plusieurs amis de leur entourage. En vérité, il ne ressemble à personne, mais donne d’emblée une impression de « déjà-vu » qui provoque l’abordage. Et cela depuis quelques années seulement.
     
    Comme l’a dit un Américain, « Il n’y a de bon Indien qu’un Indien mort », pour beaucoup, il n’y a de sexualité « normale » que la chasteté.
     
    Un habitant de Manchester : « Dans cette ville, l’air est si mauvais qu’on se réveille le matin en entendant tousser les oiseaux. »
     
    Ouvrir les yeux un matin dans une chambre d’hôtel d’une ville étrangère où l’on est arrivé la veille. Nombre de fractions de seconde et – qui sait — nombre de secondes qu’il faut pour se resituer, sortir du désarroi où l’on s’éveille. Je suis sûr que ce bref laps de temps (ce mot laps qui vient du latin lapsus convient on ne peut mieux) augmente avec l’âge. Il me faut maintenant plus de

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