Julie et Salaberry
même, que je puisse lui dire bonjour ce matin.
â à vos ordres, major! Câest comme si câétait fait, répondit le domestique.
Arrivé dans la cour intérieure du fort, Antoine partit à la recherche dâun véhicule approprié en réfléchissant aux bienfaits du mariage. «Mon maître semble bien amoureux de sa charmante petite femme», songea-t-il. Il souriait en franchissant la porte cochère.
Un peu plus tard, dans la matinée, une calèche menée par le domestique quittait lâenceinte du fort avec à son bord une Julie rougissante, recoiffée à la hâte.
De bon matin, Emmélie Boileau se présenta à la porte de la maison des Talham. Lâheure était inhabituelle pour faire des visites, mais elle tenait à sâexpliquer auprès de Marguerite qui lâavait vue au bras dâOvide, le jour des noces chez Vincelet. Tout en agitant le heurtoir de bronze de la porte, elle ignorait encore comment elle aborderait le sujet. Ces derniers temps, il lui semblait que les émotions sâamoncelaient et que ses épaules, pourtant solides, sâaffaissaient. Son père se faisait insistant pour quâelle accepte les hommages du fils Rouville. Et sa sÅur qui allait bientôt se marier et partir à Saint-Marc, la laissant seule avec lâéducation de Zoé et leurs parents vieillissants. Heureusement, les lettres quâelles recevaient de Louis-Joseph Papineau, toujours à Québec, lui apportaient réconfort et distraction.
Aurai-je le bonheur de vous revoir cet été, chère demoiselle? Jâignore quand, tant mon emploi du temps est rempli, mais je ferai tout pour aller à Chambly. Il me tarde de vous revoir , avait-il écrit la dernière fois. Emmélie aussi aurait aimé sa visite, mais elle ne se faisait guère dâillusion. Célibataire, Papineau serait probablement invité à joindre un bataillon de la milice dâélite, avec pour résultat quâil serait encore moins libre.
Des jeunes gens défilaient sur le chemin du Roi qui passait devant la maison des Talham, marchant dans la direction du fort afin de rejoindre leur compagnie de voltigeurs. Par dérision, quelques-uns dâentre eux chantaient même Yankee Doodle , lâhymne patriotique des Américains depuis la guerre de Sept Ans.
â Demoiselle, un baiser pour un brave qui fera la chasse aux Bostonnais? osa un insolent qui avait lâair de ne pas avoir plus de dix-huit ans.
â Voyez, ajouta lâautre en désignant sa cartouchière, je vous défendrai, la belle, jâai des pilules contre les Yankees!
Emmélie sâefforça de sourire en les chassant, puis leur envoya la main en signe dâencouragement, nullement intimidée par lâinsolence des volontaires. Mais lorsque Lison vint ouvrir, son apparition déclencha des sifflements admiratifs, et la servante sâen offusqua.
â Entrez vite, mademoiselle Boileau, avant que ces garnements ne montent sur la galerie. Ils en seraient bien capables. Apparence quâils ont rencontré le fond de leur gobelet plus dâune fois en chemin.
â Mais non, Lison, ils nâoseront pas, la rassura Emmélie tout en sachant que rien nâarrêtait ces jeunes débordant dâenthousiasme.
«Sa peur est certainement la meilleure défense devant ces audacieux», se dit Emmélie. Les idées de grandeur venaient facilement à ces garçons, au départ pas malicieux pour deux sous, qui endossaient pour la première fois un uniforme, devenant ainsi irrésistibles aux yeux de plus dâune demoiselle. Câétait connu.
Emmélie trouva Marguerite assise dans son fauteuil préféré, à allaiter sa petite Marie-Anne. Des bruits au-dessus de sa tête confirmèrent que les autres enfants jouaient à lâétage. Mais la rumeur de la visite de tante Emmélie chez les Talham se répandit rapidement et bientôt Melchior, Eugène et le petit Charlot se précipitèrent sur elle.
â Tante Emmélie, ça fait longtemps que tu nâes pas venue! sâécria Melchior.
â Tante Mélie! émirent aussitôt les petites voix dâEugène et de Charles qui prononçaient ainsi son prénom.
Elle ouvrit les bras et accueillit avec joie les baisers mouillés de Charles. Eugène y alla même dâun salut très
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