Julie et Salaberry
étouffées dâAntoine et de Charles, suivi du bruit des sabots sur le chemin quâelle nâentendit même pas, car le sommeil lâavait déjà reprise.
Lorsque Julie sâéveilla enfin, elle était seule dans cette chambre qui lui apparaissait encore plus petite que celle quâelle occupait au manoir familial. Mais il lui plaisait dâêtre pensionnaire à lâauberge de monsieur Vincelet avec cette impression exaltante dâêtre au début dâune longue aventure.
Elle se leva pour tirer les rideaux. Le soleil montait maintenant à lâhorizon et les eaux du bassin se couvraient dâune couleur argentée, robe de fée drapée dans la lumière pâle du matin. Julie vit dans cette beauté céleste un présage de félicité et elle sâétira longuement avant de farfouiller dans son coffre de voyage pour en retirer un déshabillé de jour quâelle enfila sur sa chemise de nuit. Un léger accroc à la manche lui rappela ce qui sâétait passé, la nuit précédente.
Charles de Salaberry, son époux. Lâaimait-il avec autant dâardeur que cette nuit le laissait supposer? Entre eux sâétait déjà installée une forme de complicité quâelle ressentit si fortement quâune joie bienfaisante la parcourut. Désormais, ils nâexisteraient plus lâun sans lâautre, croyait-elle.
Julie sâexamina longuement dans un petit miroir quâelle avait glissé dans sa trousse de voyage. La mallette de cuir brun comportait de nombreux compartiments pour ranger une brosse à cheveux, des peignes, une boîte de faïence renfermant une brosse à dents, de la poudre à dents, un peu de savon, du lait de rose pour laver le visage et les mains, un flacon de parfum et un autre de sels volatils, ses bijoux, ainsi que de petits ciseaux et du fil. Elle offrit un pâle sourire à lâimage que lui renvoyait le miroir. Cela se voyait-il dans son visage? Non, rien ne semblait avoir changé depuis hier, sinon quâelle avait les traits légèrement tirés.
Elle appela sa soubrette qui nâétait pas loin. Jeanne se présenta avec un plateau sur lequel étaient disposés café, pain, beurre frais et confitures, suivant les ordres du major qui avait veillé à ce que le confort de sa dame soit parfait.
â Madame? fit Jeanne avec une petite révérence et un sourire quâelle croyait de circonstance, devant une jeune mariée.
â Câest lâheure de mâhabiller et de me coiffer. Mais auparavant, débarrasse ceci, dit Julie dâun ton ferme en désignant le drap souillé.
â Ã vos ordres, madame.
La jeune fille sâempressa de défaire le drap. Julie se détourna pour jeter un dernier regard par la fenêtre pendant que disparaissaient les traces de son innocence perdue.
Malgré lâheure matinale, il régnait aux alentours du fort de Chambly une activité frénétique quâon nâavait pas vue depuis longtemps. Des régiments y affluaient et lâappel du matin avait annoncé le début de la journée pour les soldats. Des charrettes de victuailles, viandes, pains, barils de pois, de rhum, charretées de foin, de bois et combien dâautres marchandises circulaient sur le chemin du Roi en direction du campement. Bientôt, le manque de logement au village nâallait pas tarder à se faire sentir.
Mais ce nâétait pas tous ces détails â qui devaient être réglés par les maîtres de baraque et les autres fonctionnaires, militaires ou non â qui préoccupaient le commandant des Voltigeurs canadiens, en ce lendemain du jour de ses noces, où il devait se priver du plaisir de se prélasser avec sa femme, mais bien lâarrivée des premières compagnies pour lâentraînement.
à peine formé, le corps des Voltigeurs suscitait beaucoup dâenthousiasme chez les Canadiens âgés de dix-neuf à trente ans et quelques capitaines, notamment le capitaine Joseph Perrault, convoqué le matin même par Salaberry. Le major lâavait désigné pour le remplacer pendant une quinzaine de jours, car il devait sâabsenter pour un voyage à Québec où lâattendait le gouverneur Prévost. «Arrivez au plus tard le 23 mai», mentionnaient les ordres. Mais cette fois,
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