Julie et Salaberry
vous, notaire? Comptez-vous vous engager bientôt?
â Le gouverneur parle de mettre sur pied des milices spéciales quâil appelle milices dâélite et incorporées.
â Mais ce nâest pas comme être un Voltigeur! sâécria Godefroi qui pouvait enfin placer son mot.
â Tu as bien raison, Godefroi, ton choix est le meilleur qui soit. On dit que Salaberry recrutera entre trois et quatre cents hommes pour son régiment. Néanmoins, les valeureux Voltigeurs seront en nombre insuffisant pour repousser lâennemi et les milices spéciales, comme la milice dâélite quâon est en train de mettre sur pied, pourront soutenir celles des paroisses. Je me porterai volontaire dans le deuxième bataillon de la milice dâélite, celui dirigé par le père du capitaine ici présent, monsieur de Rouville. Le docteur Talham mâa affirmé quâil ferait de même.
â Câest bon, notaire, nous sommes touchés par votre patriotisme, dit Ovide qui bâillait. Passons au suivant.
Manifestement, la vaillance du nouveau capitaine des Voltigeurs consistait pour lâheure à trouver le moyen de regagner son lit au plus vite. Mais le notaire avait encore quelque chose à dire à son cousin.
â Godefroi, je veux que tu me promettes solennellement dâobéir aux ordres et de ne pas suivre les mauvaises têtes. Il y en a toujours, dans lâarmée, et lâindiscipline est sévèrement punie. Tu te rappelleras mon conseil?
Le ton de René était grave. Godefroi posa sa main droite sur son cÅur.
â Je promets que toujours, jâobéirai aux ordres.
Le notaire approuva, puis se tourna vers Rouville.
â Au fait, capitaine, nâavez-vous pas une somme à remettre à votre recrue?
â Ah! oui, se rappela le capitaine en fouillant dans ses poches.
Et il lui remit quelques pièces dans la main.
â Combien cela fait-il? demanda le notaire.
â Une livre et quatre chelins, répondit Godefroi, lâair déçu.
â Il me semble que le montant prévu pour lâengagement est de quatre livres, rappela le notaire avec un regard plein de suspicion.
â Heu! Voyez-vous, je nâai pas encore tous les fonds nécessaires, répondit Rouville, gêné. Mais ne tâinquiète pas, mon gars. Tu auras le reste dans quelques jours.
â Jâvous crois, répondit Godefroi, confiant. Et maintenant, que dois-je faire?
â Eh bien! Fais tes adieux à ta famille, prépare ton baluchon, et présente-toi au fort. Avec le capitaine Perrault, on a commencé à monter les premiers campements de Voltigeurs. Sois là demain, à la première heure.
â Ã vos ordres, mon capitaine.
Ovide voulut imaginer la tête de madame Lareau, lorsquâelle apprendrait lâengagement de son fils. Malheureusement, les coups qui martelaient douloureusement son crâne lâempêchaient de savourer cette situation qui, en temps normal, lui aurait arraché quelques ricanements.
Le notaire était déjà de retour avec un autre garçon qui se présenta:
â Louis Charland, Ã vos ordres, mon capitaine.
René ne put sâempêcher de sourire. Comme pour tous ceux de sa génération, la guerre était quelque chose dâinconnu. Et si ces garçons avaient tous autant de cÅur au ventre que Godefroi et Charland, les Américains nâauraient quâà bien se tenir. La fierté de ces jeunes gens qui sâengageaient volontairement dans les Voltigeurs canadiens éveillait en lui un sentiment de patriotisme tout à fait nouveau.
â Allez, notaire, faites votre office, dit Ovide en bâillant encore.
Le notaire Boileau mesura la recrue, reprit sa plume et nota: yeux bleus, cheveux brunsâ¦
Le jour nâétait pas encore levé que Charles sâapprêtait à partir sur la pointe des pieds, croyant Julie endormie.
â Charles, où vas-tu? demanda une voix ensommeillée.
â Mon ange, souviens-toi. Le devoir mâappelle au fort. Jâai encore plusieurs choses à régler avant de partir pour Québec. Je te retrouve chez tes parents pour le dîner, dit-il en posant de légers baisers sur ses joues. Rendors-toi, madame de Salaberry.
Julie savoura les gestes de tendresse et referma les yeux en se pelotonnant dans son lit. De la cour monta le son des voix
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