Julie et Salaberry
étudié pour un petit bonhomme de six ans.
â Jâai quelque chose pour vous, dit-elle dâune voix douce, en sortant de son réticule des bâtons de sucre dâorge.
Melchior leva sur sa mère des yeux interrogateurs.
â Maman, est-ce que nous avons la permission?
Marguerite acquiesça dâun hochement de tête.
â Mais auparavant, voyons voir si vous méritez ma petite surprise, fit Emmélie. Melchior, tu peux me lire une page du Petit Carême ?
Le garçon sortit de la pièce en courant pour revenir avec le livre de prières quâavait écrit lâabbé Massillon pour le jeune Louis XIV, et qui faisait partie de lâéducation des enfants.
â Je tâécoute, fit Emmélie.
Melchior lut la page sans effort.
â Voilà qui est bien. Et toi, Eugène, peux-tu me tracer les lettres de lâalphabet sur lâardoise?
Le bambin traça un «A» laborieux en se concentrant.
â Que voilà des enfants bien élevés! complimenta Emmélie en se déclarant satisfaite. Câest un plaisir que dâavoir dâaussi gentils neveux, ajouta-t-elle en distribuant les friandises aux enfants ravis.
Puis elle tendit les bras vers Marguerite qui berçait sa petite.
â Avant que cette merveille ne retrouve son berceau, jâaimerais la prendre un peu dans mes bras. Je nâai pas eu la chance de la dorloter par les temps qui courent et son aimable marraine qui vient de se marier risque dâêtre souvent absente.
Le visage de Marguerite se troubla.
â Câest vrai que tu sembles passablement occupée. Depuis la naissance de Marie-Anne, je ne crois pas que tu sois venue ici plus de trois ou quatre fois.
Dans la voix de sa cousine, il y avait plus que des reproches amicaux et Emmélie constata quâelle avait trop tardé pour lui rendre visite; lâamitié qui les liait depuis leur enfance était peut-être menacée.
â Demande à Lison de préparer du bon café, proposa-t-elle. Allez, ouste! Les enfants, retournez à vos jeux. Votre mère et moi souhaitons bavarder sans être dérangées.
Les enfants se sauvèrent et Emmélie se demanda par où commencer. Une fois Lison disparue après avoir laissé sur la table basse tout ce quâil fallait pour le café, Emmélie servit une tasse à Marguerite avant de se servir elle-même. Madame Talham ne faisait aucun effort pour être aimable.
â Je ne sais pas comment te dire⦠commença Emmélie avec maladresse.
â Alors, ne dis rien, grogna Marguerite.
â Je tâen prie, fit Emmélie, déterminée à aller jusquâau bout de cette conversation, ne te comporte pas comme Sophie qui me rabroue dès quâelle est contrariée. Tu désapprouves le fait que je me sois trouvée avec Ovide de Rouville le jour des noces de Julie.
Marguerite la dévisagea. Chagrinée par la perspective dâun mariage entre Emmélie et cet homme â ce qui lâéloignerait à jamais de sa cousine â, elle ne pouvait sâempêcher de craindre pour celle-ci et ne savait comment lâexprimer sans se trahir.
â Certains vont jusquâà dire quâil y a une promesse dâengagement entre vous. Je suppose que tes parents voient cela dâun très bon Åil, ajouta-t-elle, pleine dâamertume.
â Mais je suis persuadée que ce nâest pas ton cas, je me trompe? riposta Emmélie avec une nuance inhabituelle dans la voix.
Marguerite se renfrogna.
â Ce ne sont que des rumeurs, Marguerite, alimentées par le fait que le fils Rouville multiplie les occasions pour se trouver près de moi. Lâautre jour, je nâai pas eu dâautre choix que dâaccepter sa compagnie, au risque de provoquer un scandale devant tout le monde. Et ce nâest pas la première fois. Mais cet homme ne mâintéresse pas. En fait, je le déteste.
â Oh! laissa échapper Marguerite, soulagée. Je ne lâaime pas non plus. Il est méchant.
â Sois sans crainte, je sais exactement à quoi mâen tenir sur son compte. Mais jâai le sentiment de me débattre dans une cage comme un animal pris au piège. Mon père se flatte de voir un Rouville me faire ouvertement la cour. Pour ma part, je ne vois quâune seule explication à ce mystère: il convoite une dot,
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