Julie et Salaberry
Julie lâaccompagnerait et ils se rendraient tous les deux à Beauport.
Au froncement de ses sourcils, on voyait tout de suite que le commandant des Voltigeurs était préoccupé. Il devait sâassurer que lâentraînement des premières recrues se déroule selon ses vÅux. Et seul un officier dâexpérience pouvait le remplacer convenablement, ce pour quoi il avait convoqué lâhomme quâil avait devant lui.
Perrault entra et se mit au garde-à -vous. Sachant que le major sâétait marié la veille, le voir avec la mine grave, si peu conforme à lâétat de nouveau marié, surprit le capitaine.
â Assoyez-vous, lâinvita Salaberry en lui désignant une chaise.
Le visage rond et lâair satisfait de celui qui avait réussi sa vie, à lâaube de la soixantaine, Perrault était un recruteur zélé; il avait été lâun des premiers à obtenir la commission de capitaine dâune compagnie dans le régiment de Salaberry. Toutefois, les autorités militaires avaient dû mettre un frein à son enthousiasme patriotique. Perrault exagérait parfois, promettant par exemple que les engagés auraient droit à des terres après la guerre. Mais aux yeux du commandant en chef des Voltigeurs canadiens, le plus grave défaut du capitaine Perrault était surtout quâil dépensait outre mesure. En octroyant une allocation beaucoup plus élevée que prévu à ses recrues, afin de les attirer, il sâétait retrouvé par la suite sans argent pour acheter des provisions, provoquant du mécontentement dans les troupes. Par contre, câétait le seul homme expérimenté à sa disposition pour le remplacer pendant quâil serait à Québec.
Salaberry désigna les feuillets sur la table. Il sâagissait des instructions détaillées pour lâentraînement des Voltigeurs, quâil avait complétées le matin de son mariage. Tout était prévu, constata Perrault. Même les détails sur la propreté des chambres et des tentes étaient notés: chaque jour, les paillasses des lits devaient être aérées.
â Les ordres ont été écrits expressément en français afin que tous les comprennent, ce dont vous devez vous assurer, expliqua le major. Câest pourquoi vous exigerez de vos subalternes quâils les lisent matin et soir.
â Chaque jour?
â Chaque jour, répéta Salaberry dâun ton sans réplique.
Ils repassèrent une à une les diverses étapes de lâentraînement des soldats: lâexercice, la parade, le rôle des officiers subalternes.
â Lâappel du matin est à cinq heures et une demi-heure plus tard, les officiers sont convoqués à lâentraînement. Après le dîner, les capitaines enseignent à leur tour ce quâils ont appris le matin aux membres de leur compagnie. Le dernier appel est prévu à neuf heures du soir.
â Mais les hommes seront crevés! protesta Perreault.
â Possible, répondit Salaberry, imperturbable, connaissant la recette pour transformer un homme en bon soldat. Ainsi, ils nâauront guère lâenvie dâaller au cabaret.
â à vos ordres, major, conclut Perrault, les yeux rivés sur le document de quatre pages couvertes dâune petite écriture serrée.
â Bien. Une dernière chose, capitaine. Dimanche, messire Bédard, le curé de la paroisse, célébrera une messe supplémentaire pour nos hommes. Veillez à ce que tous soient présents à lâéglise. Je serai absent une dizaine de jours, au plus. Soyez à la hauteur de la tâche.
â Partez sans crainte, major, assura le capitaine en se mettant au garde-Ã -vous.
Salaberry le congédia et consulta sa montre de gousset: huit heures. Il se demandait ce que faisait Julie. Ãtait-elle réveillée? Il la reverrait chez les Rouville, où ils étaient attendus pour le repas de midi. Il avait de quoi sâoccuper jusquâà cette heure, avec le nombre de tâches qui lâattendaient. Mais le temps lui apparut infiniment long avant quâil ne la retrouve. Il soupira.
â Antoine! cria-t-il.
â Major?
â Charrette ou calèche, réquisitionne ce que tu trouveras, et retourne chez Vincelet. Dès que madame de Salaberry sera prête, ramène-la ici
Weitere Kostenlose Bücher