Julie et Salaberry
milice.
â Le colonel nâest pas homme à se laisser influencer par des menaces, remarqua Marguerite.
â Je suis persuadée quâil a choisi mon frère pour ses qualités, et non par favoritisme. Mais je ne crois pas que les Niverville et les Lukin voient les choses de cette façon.
â Monsieur Lukin est un parent de monsieur Vassal de Monviel? Comment cela se fait-il?
â Câest un lien bien ténu, expliqua Emmélie. Tu te rappelles que madame de Niverville mère était une Baby? Les Baby sont apparentés par alliance aux Perrault et le capitaine Perrault est le beau-frère de Vassal de Monviel. Les liens de famille comptent pour lâoctroi des postes qui rapportent dans les bataillons de la milice dâélite.
Emmélie partie, Marguerite reprit son ouvrage abandonné. Mais il lui était impossible de bien se concentrer pour faire les points invisibles destinés à raccommoder la culotte dâun des garçons. Dans sa tête, ses pensées se livraient à une course désordonnée. Lâarrivée dâAlexandre avait interrompu Emmélie. Nâavait-elle pas dit quâelle partageait ses appréhensions à propos du fils Rouville? Que savait-elle exactement?
Son secret sâéventait⦠Que ferait-elle, sâil parvenait un jour aux oreilles dâAlexandre? Elle redoutait ce moment et faisait tout pour quâil nâarrive jamais. Laissant tomber son raccommodage, elle se dirigea vers la cuisine pour voir aux repas de la journée. Marguerite avait grandement besoin de se changer les idées.
à la ferme des Lareau, sur le chemin de la Petite Rivière, Victoire ne décolérait pas.
â Nous sommes des cultivateurs, pas des soldats! pestait-elle furieusement. Laisse donc ça aux gars de la ville qui sont sans ouvrage. Ceux-là , ils ne savent pas quoi faire de leurs dix doigts. Tu aurais dû nous en parler avant. Jamais je nâaurais donné mon accord, ajouta-t-elle, oubliant que son fils, majeur, pouvait se passer de sa permission.
â Mais vous étiez là , lâautre dimanche, à la porte de lâéglise, quand le capitaine de milice a lu lâannonce: braves et loyaux compatriotes, le sang qui animait vos pères coule encore dans vos veines, pour le salut de vos propriétés et de votre religion, rappela le jeune homme, déçu de la réaction de sa mère.
«Câest vrai», se dit Victoire qui sâen voulait maintenant de ne pas avoir prêté plus dâattention aux réactions de Godefroi quand on lisait lâappel de volontaires pour le corps des Voltigeurs. Godefroi, qui répétait à qui voulait lâentendre que sa sÅur Marguerite avait assisté au mariage du major Salaberry. Jamais elle ne sâétait doutée que cet enthousiasme se traduirait par un engagement.
â Et qui mâaidera à faire les moissons? demanda avec aigreur Noël, lâaîné des fils, qui faisait désormais office de chef de famille depuis que ses parents lui avaient fait donation de la terre et de la ferme.
â Sacrédié! intervint François Lareau. Je ne suis pas encore bon pour la tombe.
Noël observa son père. François Lareau avait passé toute sa vie à cultiver la terre et à prendre soin des troupeaux à la ferme ancestrale des Lareau, sur le chemin de la Petite Rivière, ce qui ne lâavait jamais empêché de sâintéresser à ce qui se passait ailleurs, à Québec ou à Montréal. Il avait beaucoup vieilli, ces derniers temps, et se plaignait à lâoccasion de rhumatisme que nâarrivait pas à soulager le docteur Talham. Mais dans le regard bleu de lâhabitant, brillait une lueur dâorgueil.
â Pour ma part, je suis fier que tu défendes notre pays, dit-il à son cadet. Si câest pas beau! Un régiment uniquement composé de courageux Canadiens, tous nés au pays! Jâte comprends pas, ma femme. Faut encourager notre Godefroi.
Il se tourna vers lâaîné.
â Toi, Noël, tu es marié. Personne ne viendra te chercher. Mais dans le cas de Godefroi, aussi bien quâil sâengage volontairement.
â Mais il devra aller se battre! poursuivit Victoire. Là -bas, en Europe, on dit quâil en meurt des milliers comme notre Godefroi. Ces jeunes-là , ils ne savent rien de la guerre. La faim,
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