Julie et Salaberry
décacheta. Un papier sur lequel était griffonné un mot sâéchappa. Reconnaissant lâécriture dâÃdouard de Salaberry, Madame sâen empara.
Camp devant Badajoz, 5 avril 1812
â Mon Dieu! murmura-elle avec effroi en lisant la date. En rédigeant ce mot, Ãdouard a-t-il remarqué que câétait la date anniversaire de la mort de Chevalier? Un an, jour pour jour.
Elle lut avidement la suite. à la veille du terrible assaut, avec sa délicatesse coutumière, Ãdouard écrivait un mot de reconnaissance à son parrain et à sa marraine qui allait droit au cÅur:
Jâai reçu ordre de monter à lâassaut dâune des brèches cette nuit. Comme ce service est plutôt dangereux, et quâil est possible que je puisse ne pas en revenir, je désire assurer à Votre Altesse Royale ainsi quâà Madame que, quoi quâil mâarrive, je resterai éternellement reconnaissant de tout ce que je vous dois. Veuillez croire que même à mes derniers moments, je vous souhaiterai tout le bonheur que vous méritez à tant de titres.
Jâai lâhonneur dâêtre, avec une gratitude éternelle, le très obéissant et reconnaissant serviteur de Votre Altesse Royale,
Ãdouard-Alphonse de Salaberry
â Que signifie tout cela? demanda-t-elle avec angoisse. Pourquoi le colonel Fletcher nous envoie-t-il cette lettre de notre cher garçon?
Le duc avait fini de lire la missive de Fletcher. Il leva sur madame de Saint-Laurent un visage inondé de larmes et dut faire appel à toute la maîtrise de soi quâon inculquait aux princes pour parvenir à articuler quelques mots:
â Ma très chère, préparez-vous à entendre le pire. Notre bien-aimé Ãdouard est tombé au champ dâhonneur, la nuit de lâassaut.
Madame de Saint-Laurent cria, puis sombra. Des domestiques se précipitèrent à son secours, mais elle resta inconsciente suffisamment longtemps pour affoler lâentourage du prince. On envoya quérir tous les médecins pouvant se trouver au palais. Le duc ne fut dâaucune aide. Il resta prostré, sanglotant sans retenue, mouillant de ses pleurs la lettre du colonel Fletcher.
Ãdouard de Salaberry avait été tué dâune balle de mousquet dans la nuit du 6 avril. On avait retrouvé son corps parmi les milliers de Britanniques morts dans lâassaut de la forteresse, empilés les uns sur les autres dans la brèche ouverte par les canons de leur armée.
Dâautres nouvelles arrivaient. Les Britanniques avaient mis lâarmée française en déroute et le général Wellington se dirigeait vers Salamanque, ce qui ouvrirait le chemin pour libérer Madrid. Mais aucune victoire ne pouvait consoler le prince dâAngleterre. Cet enfant, Edward Augustus duc de Kent et de Strathearn et madame de Saint-Laurent lâavaient aimé comme leur propre fils. Ãdouard avait été choyé: une montre en or, de beaux habits, une éducation raffinée acquise dans les demeures princières puis des études brillantes. Il avait répondu à ces bienfaits avec autant de reconnaissance et dâaffection que le meilleur des fils. Si la douleur de Madame était celle dâune mère, la sienne était égale à celle dâun père: incommensurable.
Au bout dâun très long moment pendant lequel le duc demeura sans bouger, comme tétanisé par ce nouveau drame, il finit par réclamer une plume, du papier, et se mit à écrire. Avec difficulté. Il devait faire des pauses, car sa main tremblait et sa vue se voilait, mais il nâavait pas le choix, il fallait que cette lettre à Salaberry puisse partir sur lâ Ewretta avec toutes les autres lettres quâil avait confiées à Ryland.
Palais de Kensington, 24 avril 1812
Cher Salaberry,
Je ne pensais jamais, quand lâautre jour jâai mis dans les mains de monsieur Ryland, venu me saluer, lâoriginal de la lettre du lieutenant Gordon décrivant les détails de la mort de ce pauvre Chevalier, ainsi que copie du courrier que je vous ai expédié le 18 novembre par les Ãtats-Unis, quâil me reviendrait aussi tôt le terrible devoir de vous communiquer ce que je crois un coup du sort plus dur encore pour mes vieux amis, la mort prématurée de votre jeune frère, dans lâassaut de
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