Julie et Salaberry
pour Montréal.
Louis avait mis en ses fils tout ce quâil avait de fierté et dâorgueil: lâhonneur du nom, la descendance, la dynastie. Ni la présence de sa femme, ni celle de ses filles ou de Charles et Julie ne pourraient jamais le consoler de ce quâil avait perdu. Quant à Catherine, elle venait de sâenfermer dans une peine qui ne trouverait consolation que dans la prière. Dans lâattente du dernier souffle qui mettrait fin à ses souffrances, ce serait le seul soulagement qui restait à cette mère pour lâaider à vivre les années qui lui restaient à passer dans ce monde, sachant que ses chers fils lâattendaient dans lâautre. à jamais voilés de noir, le manoir des Salaberry les ensevelirait tous dans un abîme de tristesse. Ils étaient tous condamnés.
â Charles, demanda Julie, que pouvons-nous faire?
â Tu as fait tout ce qui était en ton pouvoir, mon ange. Et nous devons repartir, car le devoir mâappelle.
â Mais je ne peux pas abandonner ta mère et tes sÅurs! Que deviendront-elles?
à cette terrible évocation, Julie frissonna, les larmes aux yeux.
â Je sais, dit Charles dâune voix rauque. Mais nous nây pouvons rien.
Ils étaient dans leur chambre, allongés sur le lit. Soudain, Charles se leva.
â Il faut nous en aller dâici, Julie. Une malédiction pèse sur ma famille, il faut nous en échapper. Je nâen peux plus de tout ce chagrin. Ils sont morts et moi, je suis vivant. Vivant! hurla-t-il. Même mon père me reproche dâêtre toujours en vie.
Plein de colère et de désarroi, il avait envie de tout casser. Seule la pensée quâil allait effrayer sa mère et ses sÅurs lâarrêtait. Alors, il sâagenouilla près du lit et frappa le matelas de plumes en y enfonçant ses poings.
â Ne dis pas ça, Charles! Ton père accuse tout le monde, toi comme le duc de Kent.
Mais Charles nâécoutait pas.
â Pourquoi eux et pas moi? reprit-il. Jâai survécu à un naufrage, à un duel, à je ne sais combien dâassauts. Cent fois, Julie, jâai risqué ma vie. Jâai hérité de la chance de mon grand-père Michel de Salaberry que rien nâa pu abattre. Et le jeune Ãdouard qui se fait tuer après trois mois de campagne! Mon père mâen veut dâêtre vivant. Il me voudrait mort comme mes frères. Mes frères⦠Je les aimais tous les trois!
Sa douleur et sa colère entremêlées dans sa tête et son corps, il croyait que tout allait exploser.
â Ce nâest pas ta faute, Charles. Ton père⦠Câest la douleur qui le fait délirer. En réalité, il nâa plus que toi.
Hagard, Salaberry se releva.
â Tais-toi et sors dâici! vociféra-t-il avec une violence quâelle ne lui connaissait pas.
Désespérée, elle quitta leur chambre en pleurant pour tomber sur Amélie qui accourait, ayant entendu des cris.
â Demain, il sera mieux, dit-elle en voyant le désarroi de sa belle-sÅur qui lui décrivit lâétat de Charles. Je vais vous faire préparer une chambre, si vous voulez. Vous avez besoin de vous reposer.
â Amélie, nous devons repartir et je mâen veux de vous abandonner.
â Ne vous en faites pas, ma chère Julie, fit doucement Amélie. Puisque vous tenez tant à nous aider, accompagnez-moi demain matin. Votre départ attendra bien un peu. Je vais à Québec, quérir notre tante Louise-Geneviève, qui est religieuse. Elle saura sâoccuper de notre mère. Ensemble, elles prieront.
Lâ Ewretta accosta à Québec le 10 juin avec, à son bord, mister Ryland. Lâancien secrétaire de lâinfâme gouverneur Craig était lâenvoyé du duc de Kent qui lui avait confié des documents concernant la mort de François de Salaberry. En débarquant, Ryland apprit en même temps que les citoyens du Bas-Canada la victoire anglaise de Badajoz et la mort dâÃdouard de Salaberry.
Badajoz fut la plus sanglante bataille des guerres napoléoniennes, mais Ryland nâallait tout de même pas pleurer longtemps les nombreux Canadiens qui y avaient trouvé la mort. Et encore moins ceux qui portaient un nom français. Il venait de passer deux années entières en Angleterre, employées surtout Ã
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