Julie et Salaberry
tare dâêtre à la fois canadien et catholique romain. Dans les rues de Québec, inquiet de ce quâil allait apprendre, le général hâta le pas.
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Chapitre 20
Avril 1812, à Badajosâ¦
à la frontière de lâEspagne et du Portugal, lâarmée anglaise et ses alliés portugais assiégeaient la forteresse de Badajoz depuis le 16 mars 1812. Située sur un haut plateau et adossée au fleuve Guadiana, la fortification réputée imprenable constituait la porte dâentrée du Portugal, pays qui tenait tête à lâempereur des Français.
En janvier, deux mois avant le siège de Badajoz, Ãdouard de Salaberry avait rejoint le général Wellington qui avait entrepris de chasser les Français de la péninsule ibérique. Il avait fait ce choix en dépit du fait que son protecteur, le duc de Kent, avait promis, dans une lettre à son frère aîné Salaberry, quâÃdouard retournerait au Canada dès la fin de lâhiver. Mais le jeune ingénieur royal avait passé outre les supplications de madame de Saint-Laurent et de Son Altesse Royale. Diplômé de la Royal Military Academy de Woolwich, il ne voulait pas manquer lâoccasion qui se présentait dâaller se battre sur le terrain, surtout sous les ordres dâun aussi grand général que Wellington.
Lâarmée britannique avait dâabord fait capituler Ciudad Rodrigo après un long siège. La ville avait cédé sous lâassaut de lâarmée britannique et les soldats sâétaient livrés à des actes abominables: viols, pillage, beuveries, nâhésitant pas à sâen prendre à certains de leurs officiers. Après ces événements navrants, tout était finalement rentré dans lâordre et lâarmée sâétait déplacée vers Badajoz, au grand soulagement dâÃdouard de Salaberry qui déplorait ces excès, malheureusement fréquents en temps de guerre.
Dans la soirée du 5 avril, dans le camp de lâarmée britannique devant Badajoz, il régnait une étrange atmosphère faite de recueillement et de fébrilité. Des brèches avaient été ouvertes dans les murailles réputées inébranlables par les ingénieurs militaires qui avaient accompli là un véritable prodige.
Dans une des tentes du campement, le lieutenant Ãdouard de Salaberry rédigeait des lettres. Câétait un très beau jeune homme â il célébrerait ses vingt ans au mois de juin â, avec des cheveux blonds qui accentuaient ses traits encore juvéniles et ses grands yeux bleus, brillants dâune intelligence vive, contenaient toutes les promesses du monde. Il était apprécié de tous ses compagnons dâarmes sans exception.
Lâassaut était prévu pour dix heures du soir. Conscient de la gravité du moment, Ãdouard finissait dâécrire à ceux quâil aimait. Avec la confusion qui suivrait le combat, il ignorait si toutes ses lettres se rendraient jusquâà ses correspondants: ses parents bien-aimés, son frère Charles et ses sÅurs, Adélaïde et Amélie, quâil chérissait par-dessus tout. Mais pour la dernière missive, il était convaincu que celle-là parviendrait à destination puisquâelle était adressée au duc de Kent, prince dâAngleterre, et à madame de Saint-Laurent.
Une fois cette tâche terminée, Ãdouard sâagenouilla, les coudes appuyés sur le lit de camp, exactement comme il le faisait lorsquâil était enfant, sous le regard aimant de sa mère, avant de sâendormir. Les mains jointes, il ferma les yeux et pria avec ferveur, car il ne lui restait que peu de temps avant lâappel.
Le signal de lâassaut fut donné à vingt-deux heures. Contre une armée de vingt-cinq mille hommes, les cinq mille Français sous les ordres dâArmand Philippon ne pouvaient gagner. Mais la victoire coûta très cher à lâarmée anglo-portugaise. Dans la brèche creusée dans la muraille, deux mille soldats et officiers trouvèrent la mort en moins de deux heures, et ce nombre atteignit cinq mille en peu de temps. Des ruisseaux de sang coulaient dans les tranchées. Et le lendemain, les Britanniques, en bandes furieuses, se livrèrent à la pire mise à sac de leur histoire
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