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Julie et Salaberry

Julie et Salaberry

Titel: Julie et Salaberry Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Louise Chevrier
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Badajoz.
    Je ne peux pas en dire plus. Savoir qu’Édouard a voulu, de sa propre volonté, se rendre au Portugal rejoindre l’armée de Lord Wellington doit être une consolation. Je n’ai rien fait pour favoriser cela. Ce fut son propre désir… Vous saurez exprimer à vos parents affligés que madame de Saint-Laurent et moi-même partageons leur immense peine et donnez-leur l’assurance de notre inaltérable amitié.
    Depuis toujours, le duc de Kent dirigeait des régiments et ce n’était pas la première fois qu’il devait remplir le cruel devoir d’annoncer la mort d’un brave à sa famille. Mais aujourd’hui, la pénible tâche dépassait tout entendement. Les mots s’égaraient dans son esprit, il était incapable de les rassembler, de former les phrases nécessaires pour exprimer sa douleur sur le papier. Il refusa l’aide de son secrétaire, car il lui appartenait, et à lui seul, d’écrire cette lettre. Il ne sut jamais comment il avait finalement apposé son paraphe au bas de la feuille. Le secrétaire fit le reste: un messager attendait, prêt à chevaucher bride abattue jusqu’à Portsmouth, afin d’atteindre l’ Ewretta , le navire de la Compagnie du Nord-Ouest qui avait la réputation d’arriver le premier à Québec après l’hiver et sur lequel se trouvait Ryland.
    Mais lorsque le messager arriva à destination, la lettre du duc fut finalement confiée à un autre navire. L’ Ewretta était déjà parti depuis trois jours. Aucune nouvelle n’arriverait au Canada avant le mois de juin. Et pendant que les nouvelles, bonnes et mauvaises, cheminaient sur mer, la vie continuait, à Beauport comme à Chambly.

    Catherine de Salaberry avait donné ses ordres à la cuisine avec une fermeté qui pouvait laisser croire que les deuils avaient fait leur temps.
    Ses chers enfants, elle y pensait chaque jour, elle se désolait de ne pas avoir eu le temps de mieux les connaître, mais elle apprenait à taire son chagrin, car il y avait les autres.
    Lorsqu’elle était seule, elle évoquait ses souvenirs, tout ce qu’on avait dit de ses garçons partis au loin et jamais revenus. Maurice, doué d’une force herculéenne, et François, qui avait atteint la haute stature de Louis à qui il ressemblait à s’y méprendre, comme l’avait rapporté dans une de ses lettres madame de Saint-Laurent. «Le portrait tout racopié du père», disaient les habitants. Et son petit Édouard! Il venait à peine d’avoir quatorze ans quand elle l’avait vu la dernière fois, alors qu’il s’embarquait sur le Champion , vers l’Angleterre, pour rejoindre ses frères qui l’attendaient là-bas. Bien sûr, ses lettres affectueuses et pleines d’humour arrivaient régulièrement à Beauport ou à Québec. Mais cet enfant était le dernier qu’elle avait mis au monde et il lui manquait plus encore que tous les autres.
    Ses lèvres murmuraient inlassablement une prière. «Dieu, vous qui avez voulu m’éprouver en m’enlevant Maurice et François, accordez-moi la grâce de revoir mon petit Édouard.»
    Louis et Charles étaient revenus de Québec et la famille allait bientôt se mettre à table.

    L’édition du 25 mai du Quebec Mercury rapportait la victoire du général Wellington à Badajoz ainsi que le triomphe de l’armée anglaise et de ses alliés portugais. Les prisonniers français étaient nombreux, affirmait-on, sans parler des morts. Tous les détails en provenance de Lisbonne concernant Badajoz feraient l’objet d’un numéro spécial du journal qui sortirait des presses dans quelques jours, précisément le 5 juin.
    La veille de la parution de cette édition extraordinaire du Quebec Mercury , numéro dans lequel se trouvait la liste exhaustive de tous les officiers canadiens tombés à Badajoz, un officier se rendit à Beauport. L’homme demanda à voir le major Charles de Salaberry d’un ton laconique et présenta les condoléances de circonstances en remettant entre les mains tremblantes de l’officier la missive que le gouverneur Prévost avait lui-même rédigée. Atterré, Charles demanda à ce qu’on réunisse la famille au salon

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