Julie et Salaberry
militaire. Pendant soixante-douze heures, les soldats qui sâétaient mis à boire commirent des atrocités sans nom, massacrant des civils, femmes et enfants compris, allant même jusquâà assassiner leurs propres officiers qui voulaient les ramener à la raison.
Dans la nuit du 23 au 24 avril, des nouvelles de Badajoz arrivèrent au palais de Kensington. Le duc de Kent venait dâapprendre que la forteresse était tombée entre les mains anglaises mais sur le visage royal, il nây avait pas même lâombre dâun sourire à lâannonce de cette victoire anglaise. Le prince relisait une lettre de Salaberry remplie de remontrances à demi exprimées à propos de la disparition de François de Salaberry.
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Sir, mes parents ne sont pas en mesure de vous écrire. La douleur dâavoir appris quâun nouveau coup du sort affligeait notre famille par les gazettes est encore vive. Que sâest-il passé pour que Votre Altesse Royale nâait pas fait prévenir la famille de la mort de notre pauvre Chevalier? Y a-t-il une explication à votre silence? Je ne sais plus ce qui pourra consoler mes parents, sinon le retour de mon jeune frère Ãdouard.
Â
La lettre se terminait par une froide formule de salutation.
â My God!
à sa première lecture, le duc de Kent avait été atterré. Chacun des mots que contenait cette lettre était comme autant de coups de poignard qui lui allaient droit au cÅur.
Tous ses efforts avaient été anéantis. Il avisa le domestique qui faisait le pied de grue dans la pièce, prêt à répondre à tout instant aux désirs du prince.
â Faites chercher Madame, ordonna-t-il.
Dans sa lettre, Salaberry laissait entendre que Madame et lui semblaient indifférents à leur malheur. Câétait parfaitement injuste. Le prince ne pouvait ignorer le désespoir de ses amis du Canada et il allait répondre immédiatement à Salaberry.
Lâinstant dâaprès, madame de Saint-Laurent avait terminé son repas du matin et venait le rejoindre.
â Voyez, ma chère, la lettre remplie de reproches que mâécrit Salaberry en date du 20 mars dernier. Le secrétaire militaire Ryland sâembarque aujourdâhui sur lâ Eweretta qui quitte Portsmouth, à destination de Québec. Je lui ai confié la copie de ma correspondance du 18 novembre 1811 pour quâil la remette à Salaberry.
â Pauvres et chers amis⦠soupira Madame. Quoi que nous fassions, rien ne pourra les consoler. Et quand je pense que vous avez laissé partir notre bien-aimé Ãdouard! Ne vous avais-je pas demandé de vous montrer plus ferme? Je suis sa marraine et, à ce titre, je remplace sa mère. Et je sais ce que peut éprouver le cÅur dâune mère.
â Vous, les femmes, ne pouvez comprendre lâhonneur des hommes, riposta le prince.
â Vous, les hommes, ignorez à quel point les femmes souffrent dâattendre jour après jour des nouvelles de leurs fils, rétorqua Madame.
â Ãdouard ne mâaurait jamais pardonné de lâavoir retenu en Angleterre, alors que ses compagnons se battaient en Espagne et au Portugal. Et voyez que jâavais raison! Nous venons dâapprendre que les Français ont fui Badajoz. Jâattends dâautres communications au cours de la journée.
Madame de Saint-Laurent préféra ne pas répondre. Tous les exploits réunis de lâarmée anglaise contre les troupes de Napoléon ne lui seraient dâaucun réconfort. Ãdouard de Salaberry aurait dû être à Portsmouth, prêt à sâembarquer pour le Canada.
Elle-même était épuisée. Elle ne vivait plus que dans lâattente fiévreuse dâune bonne nouvelle. Madame de Saint-Laurent avait passé une grande partie de la nuit à prier et à espérer. Soudain, lâaide de camp du duc de Kent se fit annoncer et le regard de la digne dame se dirigea vers la porte pendant que son cÅur bondissait furieusement dans sa poitrine.
â Votre Altesse Royale, voici de nouveaux rapports sur Badajoz, et une lettre du colonel Fletcher qui appartient aux corps des ingénieurs royaux.
â Le supérieur dâÃdouard? sâécria madame de Saint-Laurent.
Vu lâépaisseur du pli, il semblait contenir dâautres lettres. Le prince
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