Julie et Salaberry
avant dâapprendre à Catherine et à Louis, au milieu des cris et des pleurs, la mort glorieuse de leur plus jeune fils au siège de Badajoz.
Julie était pétrifiée de voir autant de chagrin. La fatalité sâacharnait sur cette famille comme une maladie dont on ne pouvait se défaire. Dieu ne pouvait avoir permis autant de malheurs pour cette mère qui venait de retomber dans un état de neurasthénie inquiétant.
Amélie et Adélaïde étaient inconsolables. Salaberry avait envoyé chercher sa sÅur Hermine et son époux, Michel-Louis Juchereau-Duchesnay, qui résidaient dans leur maison de la rivière Saint-Charles. Hermine ne fut dâaucun secours, sâeffondrant dans les bras de son mari en apprenant la nouvelle.
Mais celui qui causa le plus dâinquiétudes fut Louis. Câétait un affligeant spectacle que de voir le noble père vociférer, proférer les pires injures à lâendroit du duc de Kent, lâaccusant dâavoir envoyé ses fils à la mort. Et lâinstant dâaprès, il refusait de croire la terrible réalité.
â Tu mens! cria-t-il en sâen prenant à Charles. Vous êtes tous des menteurs. Ãdouard est sur un bateau, il navigue sur lâestuaire du fleuve, il arrivera sous peu.
Et le géant frappait le plancher de sa canne, terrorisant la maisonnée en faisant tournoyer lâinstrument dans les airs. Les domestiques étaient partis se cacher.
â Il faut le laisser, dit Juchereau-Duchesnay.
Rempli de tristesse, Charles opina, mais son père lâempoigna par le revers de sa chemise.
â Tes frères! Ils sont tous morts et toi, tu es vivant, sâécria-t-il en le secouant comme si tout était de sa faute. Ton ami, là -bas, en Angleterre, il a tué mes enfants.
â Allons, mon oncle, reprenez-vous, fit Juchereau-Duchesnay en venant libérer Charles. Il ne sait pas ce quâil dit, souffla-t-il à Salaberry qui sâétait effondré dans un fauteuil, anéanti par les paroles de son père. Il souffre, la douleur est insupportable et câest pourquoi il agit ainsi. Câest par la suite, lorsquâil se taira, quâil nous faudra craindre le pire.
Juchereau avait peut-être raison, Louis déparlait, mais il avait prononcé des mots fatidiques qui résonnaient dans sa tête. Incapable dâen supporter plus, Salaberry se réfugia dans sa chambre.
Julie ne savait que faire pour mettre fin à ce désarroi collectif. Mais comme il fallait que quelquâun reprenne les guides, elle se décida à agir pour faire bouger les domestiques de la maison qui traînaient misérablement leur peine sans savoir quoi faire. Elle ordonna à une servante dâapporter du thé pour tout le monde. De son côté, Juchereau-Duchesnay partit à la recherche dâune bouteille de rhum et de deux verres avant dâaller retrouver Salaberry qui en avait bien besoin.
Au bout de ce qui sembla durer des heures, une certaine accalmie revint. Julie demanda quâon appelle un médecin pour madame de Salaberry. Ce dernier prescrivit à Catherine un opiacé plus fort que lâhabituel laudanum quâelle prenait pour soulager sa douleur et son chagrin. Il le recommanda également aux jeunes filles. «Pauvres, pauvres cousines», se disait Julie.
Un calme relatif revint et tous regagnèrent leur chambre. Louis avait disparu et la nuit apporta un peu de repos. Charles et Julie sanglotèrent jusquâà épuisement. Mais le lendemain matin, à la stupéfaction générale, on trouva Louis habillé de pied en cap, son bagage posé à côté de lui.
â Père, que faites-vous? demanda Salaberry.
â Je pars rejoindre mon régiment à Blairfindie, annonça-t-il à la volée.
â Mais⦠le curé sera bientôt là pourâ¦
La douce Amélie tentait de raisonner son père.
â ⦠pour dire une messe en mémoire dâÃdouard, ajouta Charles. Vous devez rester.
â Je nâai que faire de messe et de prières, déclara Louis, hagard.
Il sortit, grimpant dans une voiture qui lâattendait, sans même sâinformer de lâétat de madame de Salaberry ni embrasser ses filles, ordonnant quâon le conduise au port de Québec. Une fois arrivé, il sâembarqua sur le premier bateau en partance
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