Julie et Salaberry
Ursule.
â Viens, dit Melchior en entraînant Appoline. Allons voir où est ton frère, mon oncle Godefroi.
Les enfants circulaient à travers la centaine de petites tentes blanches dressées aux alentours du fort. Appoline aurait préféré rentrer immédiatement chez Marguerite où sâétait rendue la famille Lareau, incapable de partager la fascination de Melchior pour les militaires. Ãtre au milieu de tous ces hommes nâavait rien de rassurant pour la fillette. Mais son neveu â câétait le lien quâil y avait entre les deux enfants, même sâils avaient le même âge â exerçait sur elle une emprise telle quâelle-même ne pouvait la comprendre.
â Mais câest mon ami, le jeune Talham! fit une voix railleuse quâAppoline identifia comme étant celle du capitaine de Rouville.
â Et voici la jeune demoiselle Lareau, ajouta-t-il en dévisageant la fillette inquiète qui tirait sur la manche de la blouse de Melchior en disant: «On sâen va.»
Hélas! Melchior semblait ravi de revoir le capitaine de Rouville.
â Est-ce que lâarmée vous a permis de garder votre beau cheval? demanda le garçon. Câétait un étalon noir, je mâen rappelle très bien.
â Tu aimes les chevaux, nâest-ce pas?
â Pour sûr! Je vais souvent à lâécurie de mon oncle Lareau qui est éleveur de chevaux.
Ovide observait attentivement cet enfant quâil savait être son fils avec un étrange sentiment. Il lui vint tout à coup lâidée de mieux le connaître. Son regard croisa celui dâAppoline dont les traits évoquaient ceux de sa sÅur aînée, Marguerite, la mère de Melchior. La petite baissa les yeux, tout comme lâautre avait fait, autrefois, dans lâécurie du manoir.
Et sâil existait un moyen dâenlever Melchior à Marguerite? Ce ne serait pas la première fois que les Rouville prendraient la charge dâun fils bâtard. Ovide avait eu vent dâun secret de famille similaire. Son grand-père, René-Ovide de Rouville, avait eu un enfant dans sa jeunesse, avant dâépouser sa grand-mère, la belle Louise André de Leigne. Le petit bâtard avait été élevé à lâintérieur de la famille par une tante célibataire des Rouville, et lâéducation de lâillégitime rejeton sâétait faite à la manière des nobles seigneurs dâautrefois qui prenaient soin de leurs bâtards, preuves tangibles de leur virilité. Lorsque ce Voligny sâétait marié, à Trois-Rivières, René-Ovide avait signé le contrat de mariage et le registre paroissial, sans préciser, toutefois, quâil était le père naturel du marié. Ovide caressa un moment lâidée de faire de même avec Melchior.
â Je suis comme toi, jeune Talham. Le cheval est un animal magnifique, qui sert bien son maître. Tu aimerais voir le mien?
â Ãa alors! se réjouit Melchior, les yeux brillants de plaisir. Pour sûr que je veux voir votre cheval, capitaine de Rouville. Allons-y, sâécria-il.
Mais Appoline ne voulait pas suivre. Elle était de ces enfants qui savent, dâinstinct, que lâadulte quâils ont devant eux est foncièrement mauvais. Apparemment, Melchior était tout à fait dépourvu de ce mécanisme de défense et son enthousiasme à accepter lâoffre du capitaine le prouvait.
â Mais nous devrons remettre ça à un autre jour, dit alors le capitaine, au grand soulagement de la fillette. Je suis trop occupé aujourdâhui, mais si tu reviens, je tâemmènerai à lâécurie de mon père, ton parrain. Tu pourras même monter la jument.
â Ãa alors! répéta Melchior. Tu entends ça, Appoline? Je vais monter le cheval du capitaine.
â Que cela reste un secret entre nous, mon gars. Des gens pourraient sâen trouver jaloux. Câest bon pour toi aussi, jeune fille, ajouta-t-il en toisant la petite dâun regard sévère.
Appoline, trop contente de retourner chez elle au village, promit tout ce quâon lui demandait.
â Viens, dit-elle à Melchior. Il est temps de rentrer, sinon Marguerite sera fâchée et nous serons punis.
Ovide les regarda partir. Après la guerre, il réfléchirait à la
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