Julie et Salaberry
vieux. Pis le bon bord, câest lâbord des Anglois.
â Mais taisez-vous donc, le père, supplia monsieur Boileau en regardant hâtivement autour de lui de crainte quâun officier entende les propos du vieux. Voyez, notre demoiselle de Rouville, lâépouse du major des Voltigeurs, qui est là . Ah! Madame de Salaberry, pardonnez à mon vieux cousin. Il a vécu des heures pénibles dans sa jeunesse.
â Ne vous en faites pas, le rassura Julie qui riait de bon cÅur. Qui ne connaît pas le père Robert et sa nostalgie du monde dâavant, comme il le dit souvent?
â Il est tout à fait inoffensif, renchérit madame Boileau qui sâamusait aussi des divagations du vieil homme. Quel mal y a-t-il à se rappeler la France que nous portons toujours dans nos cÅurs?
â Ah! Mamâzelle de Rouville, grand hommage! la salua le père Robert en la reconnaissant. Vous pouvez être fière de votâ major. Câest un Basque, et vous savez câquâon dit?
â Nenni, sieur Robert. Que dit-on?
â On dit «malin comme un Basque». Voilà câquâon dit.
â Est-ce un compliment, père Robert? demanda Emmélie.
â Finaude pas pour rire, ton Emmélie, ricana le vieux en direction de monsieur Boileau qui se grattait sous sa perruque à cause de la chaleur. Ãa veut dire, belle dame, que ce gars-là , sous son habit dâAnglois, y va bouter hors de chez nous les Bostonnais, ajouta-t-il à lâintention dâEmmélie. Vâlà câque jâdis, moi, Antoine Robert.
Ãbaudi, les yeux écarquillés, le jeune Melchior écoutait attentivement lâancêtre parler de la vieille France, ce lointain pays où était né son père.
â Vive le roi! lança encore le vieux.
â Hourra pour le major! cria le garçon à la suite du mal avenant.
â Vive le roi George! fit à son tour monsieur Boileau, soulagé de pouvoir faire la démonstration de sa loyauté.
Une fois ces considérations patriotiques réglées, madame de Rouville se tourna vers madame Boileau pour lui confier les difficultés quâelle avait à organiser un repas en lâhonneur du gouverneur.
â Vous savez que les officiers offrent le repas à Sir George, ce soir.
â Nous manquons de tout, expliqua Julie: vivres, ustensiles, assiettes, plats, verres. La plupart des habitants ont lâobligation dâhéberger les pensionnaires et ne possèdent plus chez eux que le strict nécessaire. Même lâaubergiste est dépourvu. Si je ne vous avais pas rencontrée à la revue, je me proposais de vous rendre visite, pour vous demander le même service.
Hermine, Julie et madame de Rouville sâétaient vu confier la mission de trouver un nombre suffisant de couverts en faisant appel à toutes les bonnes volontés de Chambly.
â Notre maître dâhôtel et la cuisinière ont emballé ce que nous pouvions prêter de vaisselle et dâustensiles, et une charrette est partie chez Vincelet, confia madame de Rouville à madame Boileau, que la situation amusait.
â Ainsi, nota-t-elle à Julie avec un brin dâespièglerie, votre nouveau rôle consiste également à compter les fourchettes de vos voisins. Assurez le major de notre collaboration. Je ferai donner des ordres pour faire préparer le nécessaire à apporter chez Vincelet, et le gouverneur verra que les gens de Chambly savent recevoir.
â Et si jâosais, chère madame, vous demander une autre faveur... dit Julie en hésitant un peu. Le fameux gâteau dâUrsule nous garantirait un succès certain.
â Ma chère, dit madame Boileau, câest comme si câétait fait. Et je serai ravie de revoir votre beau-père.
Louis de Salaberry était en effet présent à Chambly. Tout comme son fils, il était en campagne. Le vieux gentilhomme était enfin redevenu lui-même et sâennuyait de sa chère Souris et de ses filles. Après la revue et le souper en lâhonneur du gouverneur, il prendrait la tête de son régiment pour se rendre au cantonnement de Blairfindie, un endroit situé à mi-chemin entre Chambly et La Prairie.
La revue terminée, la foule se dispersa et on se salua gracieusement en se disant «à ce soir». Madame Boileau courut donner ses ordres Ã
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