Julie et Salaberry
complicité.
â De complicité? répéta Godefroi.
Le voltigeur reprit alors ses esprits et cessa de résister, évitant à son compagnon de régiment lâodieux dâavoir à intervenir. Il y avait certainement erreur sur la personne et il lui serait facile de démontrer son innocence.
â Tu es accusé dâavoir voulu déserter et dâavoir incité à la désertion, déclara Ferguson. Tes complices, Peltier et une dizaine dâautres, ont été arrêtés, de même que lâun de mes fencibles, Ãtienne Desautels.
â Desautels et Lareau viennent de la rivière Chambly. Ãa ne me surprend pas quâils soient complices, ajouta Rouville.
En entendant ces mots, Godefroi devint blanc.
â Sacrédié! Mais câest faux! se défendit-il. Je ne suis pas un déserteur. Vous me connaissez, capitaine de Rouville. Vous savez bien que câest un mensonge.
â Suffit! ordonna le capitaine Ferguson.
â Amenez-le, ajouta Rouville.
Abattu, Godefroi garda le silence. Mais dans la lueur du feu, en voyant son ami partir les mains liées derrière le dos, Louis Charland vit se dessiner lâombre dâun sourire sur les lèvres minces du capitaine de Rouville.
Â
Chapitre 24
Aux quartiers dâhiver de Saint-Philippe
Les gazettes avaient finalement annoncé le mariage de la demoiselle Sophie Boileau avec monsieur Toussaint Drolet, le 26 octobre.
Avant que sa sÅur bien-aimée ne monte dans la voiture qui lâamenait vers sa nouvelle demeure de Saint-Marc, un village sur la rivière en aval de Chambly, Emmélie avait longuement étreint Sophie et des larmes avaient coulé, impossibles à contenir. Sophie gagnait un mari, une vie nouvelle, mais Emmélie perdait celle avec qui elle avait toujours tout partagé. Nâayant plus que Zoé pour lui tenir compagnie, avec des parents qui vieillissaient, elle se trouvait bien seule. Quant à son très cher frère René, sa profession de notaire lui permettait dâavoir une vie remplie, bien différente de celle de ses sÅurs.
La correspondance avec Papineau se poursuivait à lâinsu de la famille, exception faite de son complice, René. Contrairement à son père, ce dernier voyait dâun Åil favorable le mariage de sa sÅur avec lâavocat député, persuadé que Papineau avait un bel avenir devant lui. René ne voulait surtout pas quâEmmélie devienne par la force des choses prisonnière de son statut de fille aînée et dâun célibat imposé, consacré à veiller sur la famille.
Déjà plus dâun mois sâétait écoulé depuis le départ de Sophie, et Emmélie souffrait dâun manque dâentrain. Même une lettre de Papineau, reçue le matin même, nâarrivait pas à chasser sa mélancolie.
Â
Coteau-du-Lac, 30 novembre 1812
Ma chère amie,
Ma sÅur mâécrit que vous vous inquiétez de mon sort. Vous êtes bien bonne, alors quâelle se moque de moi, se demandant ce que je fais dans cette gabare de milice incorporée! Jâaccomplis mon devoir, simplement. Et vous, Emmélie, je sais que vous me comprenez. Je vous écris pour vous annoncer que jâai été nommé juge-avocat pour lâarmée. Et que le gouverneur veut convoquer la Chambre pour la fin décembre. Avec ces deux emplois, quand pourrais-je retourner à Chambly? Je vous avoue, je me languis de vous, ma douce amie. Il me tarde de vous revoir, de poursuivre une discussion animée avec une jeune femme belle et intelligente comme vous lâêtes. Puisse cette guerre, qui à mon avis ne rime à rien tant les causes en sont ridicules, que cette guerre, dis-je, cesse un jour afin que nous puissions reprendre nos relations sous un meilleur jour.
Transmettez mes meilleures amitiés à votre frère, ainsi quâaux autres membres de votre famille, en espérant que monsieur votre père ne mâen veut plus. Jâai appris avec bonheur que lâaffaire ponceau sâest réglée à lâavantage de tous et je mâen réjouis. Ãcrivez-moi, très chère Emmélie. Ãcrivez à ce pauvre soldat qui rêve de vous, parfois, et qui reçoit vos lettres le cÅur battant.
Votre ami le plus sincère, Louis-Joseph Papineau
Les derniers mots firent surgir des papillons dans son
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