Julie et Salaberry

estomac! Papineau avait utilisé tout le papier et au bout du feuillet, sa signature était illisible. Elle replia la lettre et la glissa dans sa poche. Leurs relations épistolaires prenaient une nouvelle tournure. Cette fois, Papineau était explicite. Il s’engageait auprès d’elle comme il poursuivait son engagement dans la milice: avec assurance et fermeté.
    René et le docteur Talham avaient déjà démissionné de la milice d’élite en septembre, après seulement cinq courts mois de service. Une période insuffisante pour devenir un héros de guerre, mais cette pensée ne semblait pas tourmenter les deux hommes, trop heureux de retrouver la vie civile où ils se sentaient plus utiles.
    Dehors, le mauvais temps sévissait, mais Emmélie s’obligea quand même à sortir pour une visite chez les Talham.
    â€” Tu viens avec moi? proposa-t-elle à Zoé qui accepta.
    Les jeunes filles se couvrirent de chauds vêtements de laine, puis Emmélie fit atteler avant de se munir d’un parapluie. Pas question d’aller à pied par ce temps.
    Dès que Lison les eut fait entrer au salon, Emmélie aperçut Marguerite épongeant des yeux rougis et l’air catastrophé du docteur, comme si une maladie grave venait d’atteindre tous les habitants de la maison. Enfoncés dans un sofa de la chambre de compagnie, François et Victoire ne payaient pas de mine non plus. Jamais Emmélie n’avait vu sa tante dans cet état. Victoire ne retenait même pas ses larmes; incroyablement frêle, elle sanglotait, le visage enfoui dans l’épaule de son mari.
    â€” Que se passe-t-il? s’alarma la jeune femme.
    â€” Emmélie, Zoé, entrez, les invita le docteur Talham. Vous tombez à point nommé. Nous ne serons pas de trop pour décider de la marche à suivre.
    â€” Docteur Talham, expliquez-nous, insista Emmélie avec angoisse.
    â€” On a arrêté Godefroi, laissa tomber François Lareau, la voix presque inaudible.
    Emmélie ne reconnaissait pas le fier époux de Victoire. L’habitant avait vieilli de dix ans.
    â€” Godefroi! Arrêté! s’écria Zoé qui n’en croyait pas ses oreilles. C’est certainement une erreur. Il ne peut avoir commis une mauvaise action.
    â€” C’est l’être le plus franc que je connaisse, approuva Emmélie. Je crois que nous devrions aller chercher mon frère, suggéra-t-elle, consternée par le désarroi ambiant.
    â€” C’est ce que je m’apprêtais à faire quand vous êtes entrées, dit le docteur. Le notaire est à la maison?
    â€” Oui, répondit Emmélie. Puisque vous y allez, Zoé et moi allons nous rendre utiles en attendant votre retour. Zoé, va à la cuisine et dis à Lison de préparer quelque chose de réconfortant. Du thé, du café.
    â€” Mais avant tout, servez un verre de rhum à mon pauvre beau-père, murmura le docteur à la jeune fille. Sans oublier madame Lareau qui en a bien besoin. Le choc qu’ils ont reçu est terrible. Godefroi est accusé de désertion devant l’ennemi.
    â€” C’est impossible! s’indigna Emmélie.
    â€” Et comme vous le savez, ajouta le docteur à voix basse, un verdict de culpabilité dans un tel cas peut être passible de peine de mort par fusillade. Le rhum, ajouta-t-il en refermant la porte derrière lui. N’oubliez pas.
    Médusée, Emmélie se dit qu’une bonne rasade d’alcool ne lui ferait pas de mal à elle non plus.
    Le docteur ne tarda pas à revenir avec le notaire. Ils étaient accompagnés de monsieur et madame Boileau venus prêter main-forte.
    â€” Tenons un conseil de famille, suggéra le bourgeois. Il doit exister un moyen de tirer ce jeune homme de la périlleuse ornière dans laquelle il a eu le malheur de tomber.
    â€” Docteur, je vous prie, rapportez-nous tous les faits, demanda René avec un calme destiné à empêcher la panique d’envahir la maison des Talham.
    Marguerite tremblait. Les larmes de Victoire avaient fait place à l’hébétude et son visage naturellement bistré présentait une pâleur inquiétante. Mais le pire était sans conteste François Lareau. Un chêne qu’on venait d’abattre. Madame Boileau s’était approchée de lui et lui tapotait doucement la main. Son