Julie et Salaberry
mari avait entouré sa cousine Victoire dâun bras fraternel. Ils avaient été élevés ensemble et avaient toujours conservé, lâun envers lâautre, une affection particulière. Jadis, lorsquâétait arrivé le drame de Marguerite, câétait vers son cousin Boileau que Victoire sâétait tournée.
Maintenant quâun autre drame se dessinait, les Boileau se constituaient en rempart autour des Lareau. En cet instant, peu importait que lâun soit habitant et lâautre bourgeois, les liens du sang étaient plus forts que tout.
â Le lendemain de la bataille de Lacolle, commença le docteur, câest-à -dire le 21 novembre dernier, on a arrêté Godefroi dans le rang Saint-André. Il est accusé dâavoir déserté devant lâennemi.
â Il était en fuite?
â Non, répondit le docteur. Au contraire, il se préparait à se coucher pour la nuit dans la grange dâun des habitants de la région. Il était avec Louis Charland.
â Ce garçon a signé son engagement avec Rouville le même jour que Godefroi, se rappela le notaire. Mais vous disiez quâil nâétait pas en fuite. Comment a-t-on pu lâaccuser dâavoir déserté?
â Un certain sergent Peltier, lui-même accusé de désertion et repris par la milice, lâaurait dénoncé, expliqua Talham.
â Câest Rouville qui a arrêté Godefroi, leur révéla alors Victoire dâune voix blanche.
â Rouville? tressaillit René.
Il aurait juré quâOvide y était pour quelque chose dans cette arrestation. Une ride profonde creusa son front.
â Et Ferguson, capitaine au régiment des Canadian Fencibles, ajouta le docteur. Lui-même était à la recherche dâun déserteur, un certain Ãtienne Desautels, de la paroisse de Saint-Denis.
â Connaissez-vous ces gens? demanda Talham.
â Une famille de cultivateurs, dit monsieur Boileau.Je songe au père. Le pauvre homme, il ne sâen remettra pas.
â Sans doute. Ce Desautels vivait dâexpédients, un journalier comme il y en a tant, et il sâétait engagé pour améliorer son sort.
â Curieux que Rouville ait arrêté Godefroi, commenta monsieur Boileau, songeur. Il est pourtant connu dans la paroisse comme un garçon honnête et vaillant.
â Vous avez raison, père, lâapprouva Emmélie. Il y a quelque chose dâincompréhensible dans cette affaire.
â Je me demande comment Rouville est impliqué dans tout ça, fit le notaire.
â On lui a donné lâordre et il a obéi, intervint Zoé pour qui lâexplication était simple.
â Cet homme apporte le malheur. Quâil soit maudit! proféra Victoire.
François Lareau dévisagea sa femme.
â Tu avais bien dit quâil avait le mauvais Åil, lâautre jour. Dire que je ne voulais pas te croireâ¦
â La vérole soit sur lui.
â Le malheur vous égare, ma cousine, sâindigna monsieur Boileau. Le fils Rouville a sans doute voulu tirer Godefroi dâun mauvais pas, mais la présence dâautres officiers, confondus par quelque mensonge, lâaura empêché dâagir.
â Jâai moi aussi mes raisons de me défier de cet homme, dit René, en regardant Victoire.
â Peut-on les connaître? demanda le docteur, intrigué.
â Des récits dâévénements que je ne peux vous révéler sont parvenus à ma connaissance. Rouville y a été mêlé, câest tout ce que je puis dire.
â à tâentendre, mon garçon, il ne vaut pas mieux que la corde pour le pendre!
Monsieur Boileau sâindignait des propos de son fils qui rabaissait lâhéritier du seigneur de Rouville au rang de truand.
â Câest un fourbe, père.
Le ton assuré de René ne laissait aucun doute sur le fond de sa pensée.
â Considère toutefois quâil pourrait devenir ton beau-frère.
La dernière affirmation de son oncle provoqua chez Marguerite un cri dâeffroi.
â Père! le rabroua Emmélie avec véhémence, il est temps de vous enlever cette idée de la tête.
â Nous verrons cela un autre jour, trancha madame Boileau.
Pour sa part, ce garçon lui avait toujours semblé plutôt insignifiant. Mais, cette fois, lâaversion de
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