Julie et Salaberry
violemment la boîte, rattrapée de justesse par Juchereau-Duchesnay avant que les documents ne soient souillés par le contenu dâune bouteille de vin qui venait de se renverser.
â Donne! ordonna Charles à son cousin en désignant le paquet, que je le jette au feu.
Mais Hermine, connaissant son frère, avait déjà mis le colis hors de portée, tout en conservant la lettre dâÃdouard quâelle lut en pleurant. Son petit frère, celui quâelle avait bercé jadis, était allé à la mort avec un courage qui la bouleversait.
Salaberry tenta de reprendre le paquet de lettres.
â Tu nâas pas le droit de faire ça, clama Hermine avec véhémence en protégeant son précieux butin. Crois-tu être le seul à avoir mal, le seul à pleurer nos frères? Nous avons aussi le droit de savoir et de lire ces lettres, revendiqua-t-elle rageusement en parlant autant pour elle que pour ses sÅurs, Adélaïde et Amélie.
â Le duc a voulu bien faire, dit alors Julie avec douceur, dans une tentative dâamoindrir leur souffrance et de dissiper lâatmosphère oppressante qui sâétait installée.
Son audace lui valut un regard outré de son mari.
â Comment peux-tu dire ça? cria Salaberry, hors de lui. Tu ne le connais même pas. Malgré ses démonstrations dâamitié et ses promesses⦠François et Ãdouard ne sont jamais revenus!
â Mais, Charles, ne vois-tu pas quâen retournant leurs lettres, le duc rend une forme dâhommage à tes frères? intervint Julie.
â Tu ne sais rien de mes frères, riposta brutalement son mari.
â Comment le pourrais-je puisque tu nâen parles jamais? répondit Julie, non sans une certaine aigreur.
â Que veux-tu dire? Que je les ai oubliés? tonna Salaberry. Que je nâai plus de chagrin?
Charles devenait odieux. Bien sûr, il était impossible pour Julie de ressentir la peine extrême de sa belle-famille, mais cela ne lâempêchait pas de compatir à leur malheur. Elle posa ses mains sur son ventre arrondi. Ce petit Salaberry qui remuait en elle était le seul qui lui importait pour lâheure. Furieuse, elle se leva de table, et sans même un mot dâexcuse, sâenfuit vers sa chambre.
â Julie a raison, approuva alors Hermine. Plus personne ne prononce le nom de Maurice, de François et dâÃdouard. Câest à croire quâils nâont jamais existé. Ce silence, câest le mur de lâoubli. Et si personne ne veut de ces lettres, je les garde pour moi.
Sur ces mots, Hermine sortit pour aller rejoindre sa belle-sÅur, emportant le paquet avec elle.
Julie était assise sur son lit, complètement catastrophée, et Hermine sâinstalla près dâelle.
â Je ne lâai jamais vu aussi déchaîné, dit Julie en tremblant. Il est terrifiant.
â Ces coups de colère, ils saisissent comme la foudre mais ne sont rien de plus quâun feu de paille, la rassura Hermine. Savez-vous que le général de Rottenburg lâa surnommé le «marquis de la poudre à canon»?
Julie ne put sâempêcher de rire.
â Vous me conseillez dâattendre que lâorage passe? Je ne sais pas⦠dit-elle en redevenant sérieuse. Jâai été élevée auprès dâun père qui sâenflammait à la première irritation, et dâune mère qui attendait patiemment que le feu sâéteigne de lui-même. Elle se contentait dâun regard sarcastique.
Julie nâavait jamais approuvé lâattitude de sa mère dans laquelle se glissait une forme de mépris.
â Je ne veux pas que mon mariage prenne ce genre de tournure.
â Alors, ma chère, affirmez-vous. Charles vous respectera dâautant plus. Mais je vais vous dire ce qui mâinquiète, ajouta Hermine. Mon père voit dans la mort de mes frères une trahison du duc de Kent. Il ne faut pas que Charles le suive sur cette voie. Si la rancune commence à sâincruster, je redoute les conséquences sur la carrière de mon mari tout comme sur celle du vôtre, ma chère Julie. Cette guerre qui devait apporter son lot de gloire tourne en rond.
â Le gouverneur pourrait-il démobiliser les Voltigeurs plutôt que dâen faire un corps régulier? demanda Julie.
â Câest une
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