Julie et Salaberry
ailleurs, notre voisin, le notaire Papineau, fait grand cas de cette famille. Ce sont des témoignages quâon ne peut négliger.
â Dâailleurs, Rouville, je crois me rappeler que vous-même vous intéressez de près à mademoiselle Emmélie Boileau? rappela Salaberry avec une ombre de soupçon dans le regard.
â Ce qui prouve quâil y a toujours de bons éléments dans une famille, rétorqua Ovide. Lorsque je dis que les Boileau veulent sâélever, je parle surtout du père, évi-demment. Et vous nâêtes pas sans savoir que le notaire convoitait la main de ma sÅur. Mais la mère est de très haute noblesse et jâai remarqué, en effet, à quel point la fille aînée tient de la mère. Vous-même, Salaberry, avez succombé au charme de son esprit quand vous lâavez rencontrée. Mais, messieurs, rassurez-vous, je nâai aucune intention de me marier dans un avenir prochain, déclara-t-il à ses invités qui se mirent à rire comme sâil sâagissait dâune bonne plaisanterie.
Sauf Salaberry, qui nâavait pas apprécié la remarque à propos du notaire. Mais il nâétait pas dâhumeur à ruminer un commérage. Il était épuisé. Lâannée 1812 avait passé à la vitesse de lâéclair pour le commandant des Voltigeurs. Il avait été si occupé, lâesprit absorbé par son mariage, lâarmée et les deuils. Maintenant que le rythme infernal semblait sâêtre interrompu pour lâhiver, il ressentait, un peu plus chaque jour, les excès dâune fatigue qui commençait à le miner. Câétait sans doute lâexplication pour son accès dâhumeur de la veille.
La pensée de sa femme qui attendait leur enfant le submergea et il ressentit le besoin intense de quitter cette table pour aller la rejoindre. Sâil se préoccupait du sort de ce Lareau, câétait finalement pour elle.
â Malheureusement, dit Ovide. Les accusations du sergent Peltier sont formelles. Le jeune Lareau a déserté, il aurait même incité les autres à la désertion.
Il disait cela dâun ton assuré, comme si aucun doute ne subsistait dans son esprit.
Salaberry ne put sâempêcher de remarquer lâopulence à la table du capitaine de Rouville, avec des victuailles sans doute achetées de manière illicite. Son beau-frère dissimulait des choses.
Lâappétit coupé, Salaberry en avait assez entendu et prit congé.
De retour chez lui, il trouva Julie endormie sur le sofa de la grande chambre, recouverte dâune vieille couverture de laine grise. Antoine nâétait pas encore couché. Fidèle à son habitude, le domestique attendait le retour de son maître avant dâaller dormir.
â Madame de Salaberry vous attendait. Mais je crois bien que le sommeil lâa emportée.
â Câest bon, Antoine. Tu peux monter. Je mâoccupe dâelle. Inutile de réveiller Jeanne. Mais demain, veillez tous les deux à faire les malles. Nous partons pour Chambly afin dây passer quelques jours. Nous y resterons jusquâaprès les fêtes.
â Madame sera heureuse de lâapprendre, lui confia Antoine. Et Jeanne, bien contente de revoir sa famille! ajouta-t-il en imaginant la joie de la jeune fille.
Salaberry laissa le serviteur à son enthousiasme et sâapprocha de Julie.
â Viens, dit-il en la secouant légèrement. Tu seras beaucoup mieux dans notre lit.
Julie ouvrit ses yeux avec difficulté.
â Câest toi, Charles? balbutia-t-elle, la voix pleine de sommeil.
â Jâirai à Chambly voir ce jeune homme, murmura-t-il à son oreille, lorsquâil lâeut aidée à se dévêtir et à sâinstaller dans leur lit. Jâai décidé de vérifier par moi-même la véracité des accusations.
â Oh! Charles! chuchota Julie, soulagée.
Ses appréhensions de la journée envolées, elle se recroquevilla contre lui.
â Mais je te demande quand même de ne pas parler à tes amis tant que je nâaurai pas éclairci le cas de ce Lareau.
â Je te le promets, déclara-t-elle avec un tel accent de reconnaissance et dâadmiration dans la voix quâil en fut retourné.
Il enlaça tendrement son épouse et sâendormit, le cÅur
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