Julie et Salaberry
ou une peine de prison.
Le curé Bédard frissonna dâeffroi en apprenant que le fils Rouville était impliqué dans lâaffaire. Il avait le sentiment atroce de sâêtre fait avoir par ses belles paroles au confessionnal. Comme il avait été niais! Il méritait les reproches que Marguerite Talham lui avait jetés au visage le jour du mariage de Salaberry.
â Il ne reste plus quâà espérer que Salaberry se décide à le rencontrer, dit Robitaille.
â Venez, dit le curé Bédard. Allons voir ce que nous a préparé Marie-Josèphe.
â Avec plaisir. Il y a trop longtemps que je suis privé des joies de la famille.
Ils sâinstallèrent et Marie-Josèphe déposa fièrement un poulet bien rôti sur la table.
â Confidence pour confidence, mon ami, je vous raconterai comment ma sÅur et certaines dames de Chambly dissimulent la volaille dans leurs caves pour empêcher les soldats de sâen emparer.
Pierre Robitaille se mit à rire.
â Je jure de déguster ce magnifique volatile sans dire un mot de sa provenance à quiconque.
Le curé sâempressa de découper la bête et dâen déposer une belle tranche dans lâassiette de son invité, que celui-ci apprécia comme si câétait son dernier repas sur terre, tout comme les légumes racines que Marie-Josèphe servit glacés au beurre. Le gâteau à la confiture qui suivit contribua à augmenter la félicité de lâaumônier des Voltigeurs. Le réconfort dâun foyer, câétait un don de Dieu. à la demande de son hôte, repu, il récita les grâces avec cÅur.
â Mais, colonel, ces prisonniers sont déjà passés en cour martiale! protestait le commandant du fort. Le verdict sera rendu ce matin et, à mon avis, ils seront tous condamnés.
Le colonel Salaberry sâétait présenté à lâaube pour rencontrer des déserteurs dont la cause venait dâêtre entendue. Il terminait tout juste la lecture du compte rendu de la cour martiale.
â On ne vous demande pas votre avis, répondit sèchement Salaberry. Amenez-moi le dénommé Peltier.
Quelques minutes plus tard se tenait devant Salaberry un homme enferré des pieds et des mains qui le défiait dâun air frondeur.
Le prisonnier fit mine de sâasseoir.
â Tu restes debout!
Lâautre cracha par terre avec mépris.
â Tu as déclaré, au cours de lâinterrogatoire, que le voltigeur Godefroi Lareau, de la compagnie de Rouville, tâavait incité à te sauver. Il aurait fait de même avec les douze autres quâon a attrapés avec toi et Ãtienne Desautels.
â Câest pas ça qui est écrit?
â Câest exactement ça qui est écrit. Et⦠quand cette incitation à déserter sâest-elle produite? Avant ou après la bataille?
â Ma foi, colonel, ça tombe sous le sens que câétait avant.
â Tu le jures?
Peltier éclata de rire. Lui qui ne croyait ni à Dieu ni à diable pouvait jurer nâimporte quoi.
â Jurer? Certain que je le jure. Tiens, sur la tête de ma défunte mère.
â Où étiez-vous, exactement, lorsque Lareau vous a donné cette idée?
â Ben, on marchait sur le chemin, en direction de Lacolle, quand Lareau mâa dit que lui, on ne lây reprendrait plus, et quâil sâen irait à travers champ. Il semblait savoir ce quâil faisait. Un gars de la place, vous comprenez, Sir, ça fait que moi, je lâai suivi.
Peltier répéta la fable inventée par le capitaine de Rouville. Ce dernier lui avait promis quâil ne serait pas fusillé sâil réussissait à faire condamner Lareau.
â Comment expliques-tu quâon ait retrouvé Lareau dans une grange, le lendemain de la bataille de Lacolle?
â Jâdirais, mon colonel, que câest un malin, ce gars-là . Il nous a menés un bout de temps pour nous indiquer le bon chemin, puis, tout dâun coup, il a disparu. Connaissait ben le pays, quâil disait. Maudit venyenne, il nous a eus.
Salaberry toisa lâhomme. Une fripouille dont lâunique peur était la mort.
â Pour quelquâun qui risque dâêtre condamné, on ne peut pas dire que tu fais montre de repentir.
â Pour sûr, colonel, on peut se sortir
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