Julie et Salaberry
tranquille, blotti dans la chaleur de Julie.
Dans la cour intérieure du fort de Chambly, Salaberry faisait les cent pas avec Pierre Robitaille. Lâancien curé de Pointe-Olivier avait été nommé aumônier des troupes en septembre dernier et le commandant des Voltigeurs avait rencontré plusieurs fois le prêtre depuis son entrée en fonction. Il appréciait ce zélé serviteur de Dieu qui ne se plaignait jamais des dures conditions de la vie au bivouac. Dire la messe par mauvais temps dans une simple remise ornée de branchages ne rebutait pas le prêtre qui voyageait continuellement, allant dâun cantonnement à lâautre sans protester. Son dévouement nâavait dâégal que la justesse de son jugement.
â Messire Robitaille, vous avez déjà accompagné des condamnés depuis le début de votre charge dâaumônerie?
â En effet, jâai prêté assistance à quelques-uns de ces pauvres diables, et dans certains cas, prié avec eux jusquâà lâultime moment. Dur devoir que celui-là qui crève le cÅur, si je peux me permettre, colonel. On se demande pourquoi ils agissent ainsi, sachant, pour la plupart, quâils seront repris et que la punition qui les attend sera sans pitié.
â Que pensez-vous du cas de Lareau? demanda lâofficier.
Lâaumônier nâavait pas lâair surpris par la question.
â Puisque vous me faites lâhonneur de solliciter mes impressions, colonel de Salaberry, je dois vous avouer que la présence de ce garçon au milieu de ces malheureux mâintrigue, dit-il, dâun ton mesuré. Normalement, les prisonniers plaident leur innocence à grands cris, mais pour la plupart dâentre eux, il est bien difficile de croire en leur sincérité. Le jeune Lareau mâapparaît une exception.
Salaberry eut une longue hésitation.
â Messire Robitaille, il nâest pas dans mes habitudes de quémander ainsi des avis. Si je vous interroge, câest quâon a réussi à me faire douter des accusations. Par contre, je ne veux pas me tromper. Expliquez-vous.
â Eh bien⦠Le jeune homme croit, sans lâombre dâun doute, quâil sera déclaré non coupable. Câest troublant. Voyez-vous, colonel, ou bien cet homme est innocent du crime dont on lâaccuse, ou câest un dissimulateur comme on en voit peu.
Des misérables et des truands, Pierre Robitaille en avait connu. Il avait sondé nombre de consciences au cours de son apostolat et avait appris à déceler le mensonge même dans les âmes les plus noires.
â Pourtant, il a été dénoncé par le dénommé Peltier et celui-ci affirme quâil a incité les autres.
Lâofficier et le prêtre sâétaient arrêtés devant la lourde porte de bois dâun cachot dans lequel sâentassaient plusieurs prisonniers. Salaberry jeta un coup dâÅil par lâétroite ouverture garnie de barreaux.
â Câest ce jeune homme blond, lui apprit Robitaille en désignant celui qui se tenait debout, au fond du cachot, les bras croisés. Il ne se mêle pas aux autres et ses compagnons de misère semblent le mépriser.
Salaberry était visiblement embarrassé. La perspicacité de lâaumônier avait achevé de le persuader que Lareau était possiblement innocent. Rouville avait-il manigancé pour le faire condamner? Peut-être ne trouverait-il jamais la réponse.
â Je vous suggère simplement de le rencontrer pour vous faire votre opinion, disait lâaumônier. Vous serez à même de mesurer mes impressions.
â Câest bon, messire Robitaille, fit Salaberry, la mine dubitative. Je verrai, ajouta-t-il, dâun ton brusque, avant de tourner les talons.
â Je ne sais pas si jâai réussi à le convaincre, mon cher Bédard, affirmait Pierre Robitaille à son collègue.
La nouvelle de lâarrestation de Godefroi Lareau avait anéanti le curé de Chambly.
â Et vous? Quel est le fond de votre pensée?
â Je ne devrais pas vous dire ça, mon ami, mais je suis persuadé de son innocence, confia lâaumônier Robitaille. Voyez-vous, je crois que lâaccusateur a été acheté. On a dû lui promettre quâon le ferait sortir de là , quâil serait quitte pour une autre punition
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