Julie et Salaberry
dit René. Un dénommé Peltier ainsi quâun autre appelé Ãtienne Desautels tentent de lui faire porter la responsabilité de leur faute. Godefroi ne connaît même pas ce Desautels. Il nâa pas déserté. Mon cousin était sous le feu de lâennemi à Lacolle, des témoins peuvent lâattester.
â Je vous en prie, colonel, ne laissez pas commettre cette terrible erreur, implora le docteur Talham.
â Suffit! sâécria Salaberry dâun ton rogue. Pour un soldat, rien nâest plus lâche que de déserter devant lâennemi. Et vous osez user de lâamitié que vous porte ma femme pour défendre un misérable? Sortez de chez moi. à partir de ce jour, considérez que vous nâêtes plus les bienvenus.
â Parmi tous vos Voltigeurs, vous nâen trouverez aucun plus dévoué, riposta René en endossant son capot de laine trempé. Croyez-moi, colonel, sâil le fallait, Godefroi Lareau serait le premier à donner sa vie pour vous, ajouta-t-il sur un ton amer, en se rappelant la fierté du jeune homme dans son cabinet. Venez, docteur, dit-il en soutenant Talham, anéanti par la réaction de Salaberry. Nous nâavons plus rien à faire ici.
Ils ne furent pas aussitôt repartis que Julie sortit de la chambre où son mari lâavait si odieusement consignée. Il avait même décidé sans la consulter de biffer dâun trait de vieilles amitiés auxquelles elle tenait. Elle ne le laisserait pas faire.
â Ils ont raison, Charles.
â Je tâai demandé de ne pas tâen mêler, répondit froidement son mari. Il sâagit dâune affaire de cour martiale et tu nâas rien à y voir.
â Mais je connais Godefroi Lareau et je suis persuadée quâon lâaccuse à tort.
Le regard que Charles posa sur elle la glaça.
â Julie, câest ton frère qui lâaccuse. Ce Lareau sera certainement fusillé. Et maintenant, jâen ai assez entendu. Ne mâattends pas pour souper.
Il attrapa son manteau et son chapeau puis il sortit en claquant la porte derrière lui.
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Chapitre 25
Le prisonnier de Chambly
Salaberry sâétait levé tôt et Antoine avait disparu dans le sillage de son maître. Julie était seule avec sa servante qui lui apportait un petit déjeuner: du pain, des confitures et du beurre frais baratté par Jeanne la veille, avec du chocolat chaud et sucré. La servante redressa le traversin et les oreillers.
â Jâai apporté votre châle de laine, madame, dit la jeune fille en déposant le plateau sur le lit. Câest quâil ne fait pas chaud ce matin. Je vais laisser la porte de votre chambre ouverte pour faire entrer la chaleur, si vous le voulez bien.
Câétait vrai quâil faisait froid. Le souffle de la servante provoquait une légère buée. Julie resserra le châle sur ses épaules et enfila de vieilles mitaines maintes fois reprisées.
â Mon mari est déjà parti?
â Le colonel fait dire à madame quâil ne rentrera pas de la journée et soupera chez le capitaine de Rouville.
â Merci, Jeanne, tu peux tâen aller.
Julie soupira. Des pensées se bousculaient dans sa tête. Après six mois de mariage, les déceptions sâaccumulaient. Salaberry la laisserait seule toute la journée. Il faisait toujours ainsi lorsquâils se disputaient et elle en avait assez de le voir fuir à la moindre contrariété. Le caractère prompt de son mari, quâHermine avait bien décrit la veille, la déconcertait: des éclairs dans un ciel dâété disparaissant aussi vite quâils apparaissaient. Mais cela lui donnait-il le droit dâêtre si déplaisant? La veille, Charles lui avait clairement signifié quâelle ne devait pas intervenir dans les affaires militaires. Il avait sans doute raison, même si, du temps quâil la courtisait, ses lettres étaient pleines de ses rêves quant à sa carrière militaire. Mais elle tenait à ce que Charles lui témoigne du respect, à ses yeux, la plus belle preuve dâamour.
Elle revint à leur sujet de discorde. Godefroi Lareau en cour martiale! Julie se rappela le regard ingénu dâun jeune homme qui balayait le sol de son chapeau en la saluant, lâété précédent. Le fils de François et
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