Julie et Salaberry
ses épaules le fardeau de la transmission du nom, et de lâobligation de sâillustrer sur un champ de bataille.
à lâaumônier, Salaberry avait décrit son ressentiment face au duc de Kent. Ce faisant, et surtout grâce à la sagesse des propos de Robitaille, la colère de Charles était tombée. Salaberry avait demandé au prêtre de lire pour lui la correspondance du duc de Kent, récupérée des mains dâHermine, après avoir convaincu cette dernière quâil nâavait plus lâintention de la détruire. Lâinflexible commandant des Voltigeurs canadiens manquait encore de courage pour lire lui-même la correspondance de ses frères et celle du duc. Mais le jour de la naissance du petit Melchior-Alphonse, Charles avait compris lâimportance de transmettre à son fils lâhistoire de ses oncles et de lui rappeler quâils avaient été des hommes courageux.
Devant tant de hasards malheureux, le prêtre avait aisément compris que le duc nây était pour rien et que la colère de Salaberry ne menait nulle part, sauf à lui faire du mal.
â Vous mâavez fait lâhonneur de partager les malheurs dont la Divine Providence a voulu affliger votre famille. Pourquoi ne pas pardonner au prince? avait suggéré Robitaille. Voyez-y plutôt la volonté de Dieu de vous éprouver. Rejeter la faute sur le duc de Kent revient à condamner Dieu lui-même.
Salaberry était désormais prêt à entendre des paroles de réconfort et il prit enfin connaissance de la correspondance de ses frères. Il en avait dâabord été profondément bouleversé. Puis, au fil des lettres, lui revinrent en mémoire des souvenirs heureux: lâaffection bienveillante prodiguée par le duc de Kent et madame de Saint-Laurent, les bals londoniens et les succès de François auprès des jolies demoiselles, les soirées à lâopéra qui étaient les préférées de Maurice, les études sérieuses dâÃdouard et même sa propre passion pour Mary Fortescue. Câétait curieux dâévoquer cette époque fastueuse dans la petite maison de Saint-Philippe. Ses frères lui manqueraient toute sa vie. Mais désormais, avec Julie, il goûtait à une forme de bonheur quâil nâavait jamais connue.
Et, désormais, il y avait le petit.
â Il faut profiter de cette occasion pour écrire à madame de Saint-Laurent et lui annoncer lâheureuse nouvelle. Par le fait même, tu tâattireras la reconnaissance du duc, conclut Julie, encore affaiblie.
Charles acquiesça, puis remercia Dieu.
La naissance de son enfant arrivait à point nommé pour permettre à Salaberry dâencaisser la défaite dâun raid mené à Sackets Harbor, près de Kingston, sur le lac Ontario, par Prévost, à la tête des troupes britanniques. Lui-même nâétait pas sur place, mais quatre compagnies de Voltigeurs sây trouvaient, y compris celle commandée par le capitaine Jacques Viger.
à lâété de lâannée 1813, lâennemi sâemploya à faire des percées dans la région du lac Champlain, mais sans succès. Les affrontements se corsaient dans le Haut et le Bas-Canada. En juillet débarqua à Québec un régiment de mercenaires suisses, engagé par lâAngleterre pour augmenter les forces de défense. Les compagnies du régiment de Meuron furent cantonnées à Blairfindie, à La Prairie, ainsi quâà Chambly où leur arrivée provoqua tout un émoi chez les habitants.
â Vous vous rendez compte que la plupart dâentre eux sont dâanciens soldats de la Grande Armée de Napoléon? Ils étaient prisonniers des Anglais, à Gibraltar, expliquait le docteur Talham aux Boileau père et fils qui assistaient avec lui au défilé de ces régiments dont le drapeau affichait la devise Fidelitas & Honor, Terra & Mare .
Baudriers et revers bleu clair â la couleur du régiment â bariolaient les vestes rouges, et câest avec émotion que le docteur voyait défiler ces hommes à la tête haute, fièrement coiffés dâun shako de cuir. Parmi eux se trouvaient des Espagnols et des Italiens, mais aussi des Français et des Belges à qui on avait promis, lorsquâils sâengageaient dans ce
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