Julie et Salaberry
régiment de mercenaires à la solde des Britanniques, de les envoyer se battre en Amérique et non pas contre leurs frères dâEurope.
â Le général de Rottenburg a été affecté au Haut-Canada, dit à son tour le notaire. On a fait appel à un autre Suisse, le général Louis de Watteville, qui vient aussi dâarriver avec son régiment.
â Mais jâai appris récemment quâil avait été nommé major général par Londres, souligna Boileau père. Il doit passer le commandement de son régiment à un autre même sâil en demeure propriétaire.
â Ce Watteville sera le nouveau supérieur immédiat de Salaberry? demanda Talham.
â Câest exact, affirma le bourgeois. Et madame de Salaberry a confié à ma fille Emmélie, à qui elle a écrit pour lui annoncer la naissance de son fils, que Salaberry sâentendait très bien avec son nouveau commandant.
â Tant mieux! se réjouit le notaire. Il servira de tampon entre Salaberry et Prévost. On dit quâils sont comme chien et chat.
â Espérons que leur mésentente nâentraînera pas dâeffets déplorables, soupira son père. Vaudreuil et Montcalm ne pouvaient se souffrir, pendant la guerre de Sept Ans, ce qui nous a fait du tort.
â Câest bien vrai, approuva le docteur. Et on ne sait toujours pas ce qui nous attend. Il y a eu une première tentative de pénétrer le Bas-Canada en juin dernier, qui sâest traduite par la capture de deux sloops américains à lâÃle- aux-Noix, qui nâest pas loin de chez nous. Et trois semaines plus tard, les troupes américaines connaissaient une autre défaite à Saint-Régis.
â Ce qui est certain, câest que les Américains souhaitent prendre Montréal avant lâhiver. Quel chemin emprunteront-ils? sâinterrogea Boileau.
â Puisque les tentatives par Lacolle ont échoué, ils essayeront de passer là où lâeau est à son niveau le plus bas, avança René.
â Ce qui veut dire? demanda le docteur.
â Quâils essayeront de passer par la Châteauguay!
Le défilé venait de prendre fin et les trois hommes retournèrent à leurs occupations respectives.
â Ãa parle au diable! sâexclama René en découvrant sur le seuil de son étude Amable Boileau, un cousin éloigné qui vivait dans la région du lac Champlain, aux Ãtats-Unis. Mais comment as-tu fait pour arriver jusquâici?
â Je suis passé par les bois, répondit le jeune homme avec un fort accent américain.
â As-tu oublié que nos deux pays se font la guerre? dit le notaire en riant. Surtout quâavec ton accoutrement, tu ne passes pas inaperçu, ajouta-t-il en désignant les plumes de perdrix qui pendaient à la ceinture du visiteur.
René avait lâimpression dâêtre devant lâune de ces gravures anciennes représentant un voyageur du Pays dâen Haut. Avec son teint bistré, son chapeau à large bord et ses mitasses nouées par une lanière en cuir dâorignal, Amable avait hérité de lâallure de son aïeul, un grand-oncle des Boileau de Chambly, personnage métissé parlant aisément lâabénaquis et lâalgonquin. Ce Boileau-là connaissait par cÅur les forêts entourant le lac Champlain et servait de guide aux ingénieurs royaux qui recherchaient le bois précieux destiné à la construction navale. Et comme son ancêtre, Amable pouvait passer des semaines en forêt sans se perdre.
Malgré son apparence, le cousin Amable était aussi doué pour les affaires que ses cousins de Chambly et servait dâintermédiaire à René pour écouler le foin de ce dernier sur le marché américain.
â Yes, my friend ! Tu te rappelles la bataille qui a eu lieu au lac Champlain, au mois de juin?
â Oui, bien sûr. La marine américaine voulait empêcher que des radeaux de bois destinés aux chantiers maritimes de Québec ne parviennent jusquâici.
â Un de ces cageux mâappartenait, figure-toi. Jâespérais passer les lignes pour arriver à Chambly. à partir de là , toi ou mon oncle vous seriez chargés dâacheminer ma cage jusquâà Québec.
Comme le père Robert, il utilisait un français désuet, celui
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