Julie et Salaberry
pris la peine de te prévenir? Cela ne lui ressemble guère.
â Câest certainement lui, insista Emmélie.
â Tu as raison, sans lâombre dâun doute. Lorsquâun jeune homme est amoureux, il est prêt à tout, ajouta-t-il pour sa sÅur qui devenait de plus en plus écarlate. Si tu veux mon avis, il ne tardera pas à se dévoiler. Ce qui ne tâempêche pas de profiter de ce beau présent en le lisant, dit-il en lui offrant un coupe-papier afin quâelle puisse défaire les pages. Je ne connais pas de meilleure méthode pour le remercier.
Emmélie opina avec un sourire et partit annoncer à ses parents quâils avaient de la visite imprévue, mais quâil fallait la tenir secrète sous peine dâêtre accusés dâespionnage.
â Eh bien! fit Amable, curieux. Puis-je savoir qui est ce merveilleux monsieur Papineau qui réussit à faire battre le cÅur de lâindomptable Emmélie?
â Câest elle qui te répondra si elle le veut bien, répondit René avec un indéfinissable sourire. Mais sois discret. Ses amours ne sont pas encore publiques, ajouta le frère, attentionné, pour éviter quâAmable ne commette un impair en famille.
Capitaine Papineau, Coteau-du-Lac,
1 er septembre 1813
Ma chère Emmélie,
Votre dernière lettre a mis du baume sur mon cÅur, car jâai appris récemment la triste fin de mon ami Janvier Kimber, mort de fièvre et de dysenterie après cette marche de quinze lieues dans une expédition au lac Champlain, commandée par ce « fou dâEstimauville » . Bilan: huit morts, provoqués par le manque de jugement dâun des nôtres. Quelle désolation!
Je vous annonce un événement tout aussi important, mais beaucoup plus heureux. Jâespère vivement aller vous voir à Chambly avant la fin de lâautomne. Mâattendez-vous toujours, chère amie?
Votre Papineau qui en a assez de cette guerre et vous espère, un peu plus chaque jourâ¦
Emmélie relut plusieurs fois la trop courte lettre, le cÅur gonflé dâespoir. Sans égard à la distance, Louis-Joseph Papineau lui demeurait fidèle. «Louis-Joseph», murmura-t-elle pour elle-même. Il fallait répondre tout de suite pour lâassurer de ses sentiments. Mais devait-elle faire mention du cadeau? Indécise, elle décida dâattendre que lui-même évoque le présent. Installée à lâécritoire de son frère, la jeune femme trempa sa plume dans lâencrier. Son écriture à la calligraphie bien ourlée courait sur le papier à un rythme régulier.
Au capitaine Papineau, Coteau-du-Lac
Chambly, 6 septembre 1813
Ces événements du lac Champlain se sont passés relativement près de chez nous, mais ils nâont pas affecté vos amis de Chambly. Nous nous sentons parfaitement en sécurité. Voyez plutôt: plus de deux mille cinq cents hommes sont cantonnés ici. Vous ne reconnaîtriez plus notre paisible village. On y entend le bruit des marteaux et des scies nuit et jour, que seul celui des parades et des exercices militaires arrive à couvrir. Adieu la tranquillité de jadis! Mais les bâtisses construites sur la banlieue embelliront assurément Chambly si lâennemi ne les détruit pas.
Jâadmire encore plus le courage qui vous a conduit à vous enrôler dans nos milices dâélite et prie Dieu chaque jour afin quâil veille sur vous. Je vois dâici votre petit sourire narquois en lisant ma dernière phrase, mais la prière apporte une bonne dose de réconfort en ces jours difficiles. Votre sÅur Rosalie mâa rapporté les craintes de votre tante Lartigue qui vous enjoint dâassister à la messe. Ainsi, vous négligez vos devoirs envers la religion! Je vous reconnais bien là , mais je refuse de vous juger, même si moi aussi, je mâinquiète pour la sauvegarde de votre âme.
Je ne peux croire en la vitesse à laquelle passe le temps et comprends que la guerre vous empêche de vous rendre à Chambly. Sachez quâon vous y attend.
Que Dieu vous garde, mon cher monsieur Papineau, pour la joie de vos amis et, surtout, celle de votre Emmélie Boileau.
P.-S. Le croiriez-vous? Le capitaine de Rouville organise un pique-nique!
Au manoir de Rouville, pendant quâon remplissait une charrette
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