Julie et Salaberry
lâentraînant sur le sentier.
â Vous nâêtes jamais aussi belle que lorsque vous vous fâchez. Vos beaux yeux noirs! Comme je les aime! Du charbon dont la braise ne demande quâà être ranimée.
Câest quâelle commençait à lui plaire, la diablesse, songeait-il en marchant. Emmélie la brune chassait de son esprit lâimage de lâautre, lâobsédante et blonde Marguerite. Comme il aurait plaisir à faire la comparaison, un jour prochain⦠Mais Emmélie se dégagea.
â Vous partez, ma mie? Quel dommage!
Et il la salua dâun grand coup de chapeau, avant dâaller rejoindre ceux qui marchaient plus loin.
â Venez, dit René à ses sÅurs. Je crois quâil est temps de rentrer.
â Emmélie, tu es fiancée avec le fils Rouville? demanda Zoé.
â Non, Zoé. Jamais je nâépouserai cet homme. Alors, ne commence pas à répandre de fausses rumeurs.
â Câest bon, Emmélie, ne te fâche pas. Je ne dirai rien, promis la fillette avant de sâéchapper en courant pour retrouver ses parents et tout leur raconter.
â Père! Mère! Je crois quâEmmélie est secrètement fiancée avec le fils Rouville, comme lâa fait Sophie avant de tout nous révéler.
Monsieur Boileau allait applaudir à la nouvelle, mais son épouse demanda:
â Est-ce Emmélie qui lâaffirme?
Zoé regarda le sol.
â Non, répondit-elle, lâair piteux. Mais ce serait formidable si câétait vrai. Le fils Rouville veut lâépouser, jâen suis certaine. Il voulait se battre pour elle contre René.
â Zoé, je ne veux plus jamais entendre de tels propos. Tu as bien compris? Et si jâapprends que tu mâas désobéi et que tu parles du mariage dâEmmélie sans en avoir la certitude, tu seras sévèrement punie.
â Oh, mère! Mais pourquoi?
â Parce que ce serait un mensonge qui nuirait gravement à la réputation de ta sÅur. Allons, aide-moi un peu à ramasser, dit-elle en remettant les restes de nourriture dans le panier prévu à cet effet. Les domestiques ne sont pas obligés de tout faire.
â Il faudra, madame, que vous mâexpliquiez pourquoi vous refusez de considérer le parti extraordinaire que constitue le fils Rouville, fit monsieur Boileau que lâattitude incompréhensible de son épouse déconcertait.
â Mon ami, nous avons toujours convenu de laisser nos enfants choisir selon leurs inclinations. Et visiblement, Emmélie ne veut pas de lui.
Le sujet était clos et les Boileau remontèrent en voiture pour retourner à Chambly.
Sur le chemin du retour, madame de Rouville se rua sur son fils.
â Jâexige de savoir quelles sont tes intentions à propos dâEmmélie Boileau. Par ta faute, je me suis fait humilier!
â Ma chère mère, je ne vois pas pourquoi vous vous en faites pour si peu, répondit Ovide avec désinvolture.
â Si peu? Mais je frémis à la pensée de voir une simple Boileau devenir un jour seigneuresse de Rouville.
â Jâépouserai mademoiselle Boileau, mère, et plus tôt que tard. Parce que son imbécile de père offrira une belle dot pour que sa fille porte le nom de Rouville et quâil ajoutera des terres dans la corbeille de noces. Des terres et de lâargent, tout ce qui me manque.
â Mais câest parfaitement stupide. Tu seras un jour seigneur de Rouville. Quâas-tu à faire de quelques terres à Chambly?
â Le père Boileau possède les plus fructueuses de la région, avec des fermiers à sa botte. Je nâen peux plus de cette rente minable que mâoctroie mon père, sous votre conseil dâailleurs, car, en réalité, câest vous qui détenez les cordons de la bourse. Et puis, chère mère, quây a-t-il de déshonorant à épouser une riche héritière? Je suis lâexemple de mon père autrefois: choisir une dot. Et Salaberry nâa pas fait autrement en épousant ma sÅur!
Madame de Rouville frissonna de rage sous lâinsulte. Son mari avait toujours eu confiance en son jugement et nâavait jamais négligé un bon conseil pour la gestion de sa seigneurie. Et puis, en dépit des apparences, ils sâétaient aimés, autrefois. Son fils nâétait quâun
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