Julie et Salaberry
imbécile! Quelle grave erreur de lâavoir protégé contre la trop grande autorité du père.
Elle regarda sa fille et son enfant, que les soubresauts de la calèche avaient endormis. Désormais, la seigneurie de Rouville pouvait compter sur un autre héritier et Ovide devrait faire ses preuves avant de pouvoir reprendre son apanage. «Vivement la fin de cette guerre», se dit-elle.
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Chapitre 27
Dans le bois de Châteauguay
Après lâavoir fait sortir de prison, le commandant des Voltigeurs avait affecté Godefroi Lareau à la compagnie de Juchereau-Duchesnay. Salaberry appréciait lâardeur du jeune soldat, ainsi que sa solide carrure qui en faisait un homme recherché pour les compagnies de flanc, celles qui marchaient sur les côtés des troupes pour les protéger. Le voltigeur Louis Charland avait suivi le même chemin pour des raisons similaires. Lâautomne de 1813 sâannonçait plus mouvementé que le précédent dâoù lâimportance de sâentourer dâhommes valeureux et prêts à combattre.
Quelques jours auparavant, sous la pression de ses supérieurs, Salaberry avait donné à ses hommes, postés aux alentours de la rivière Châteauguay, la mission dâaller harceler lâennemi sur son territoire. Mais lâopération se montrait plus épuisante quâefficace.
â Drôle de mission, déclara Godefroi.
â Marcher une douzaine de lieues pour tirer quelques coups de fusil aux avant-postes, tuer cinq ou six Yankees puis se sauver, câest pas la gloire!
La déception de Charland se lisait sur son visage.
â Surtout quâaucune troupe de réserve nâaurait pu nous porter secours si lâennemi avait riposté avec plus de vigueur.
â Vrai de vrai, Lareau, toi et moi, on nâaurait peut-être plus été là pour en parler.
â Sacrédié! Sans compter quâon a maintenant lâair de lâches qui sâenfuient devant lâennemi. Faut quâil se passe quelque chose, une véritable action.
Plusieurs voltigeurs ressentaient une grande frustration, sentiment partagé par Salaberry qui avait lâimpression quâon utilisait ses hommes inutilement. Mais tous venaient à peine de réintégrer leurs baraques quâils apprenaient que sept à huit mille Américains marchaient le long de la frontière pour camper en un lieu appelé Four Corners, une fourche entre quatre routes principales sur le territoire américain, tout près de la frontière.
Dans le presbytère du village de Châteauguay, le général Louis de Watteville, le lieutenant-colonel de Salaberry et le capitaine Michel-Louis Juchereau-Duchesnay étaient penchés sur une carte de la région. Récemment arrivé au pays, Louis de Watteville était un officier dâexpérience qui venait de passer deux années en Espagne, en poste à Cadix.
â Voyez, mon général, expliquait Salaberry. Entre la Châteauguay et la rivière Chambly, le terrain est plat. Les Américains ne peuvent plus passer par lâest et remonter la Chambly à partir du lac Champlain; les chemins et les ponts sont en ruine, et les abattis se sont multipliés depuis un an. Pour tout remettre en état et permettre aux troupes de passer, il leur faudrait au moins trois semaines. Nous sommes aujourdâhui le 21 octobre. Le mauvais temps sâen vient et dans ce pays, il nâest pas rare de voir de la neige en novembre.
â Comme on dit, le froid va bientôt passer du côté des mitaines, ajouta Juchereau-Duchesnay, en montrant les moufles doublées quâil portait pour se protéger.
â Câest-à -dire que si lâennemi se décide à passer à lâaction, il tentera sa chance par ici, fit Watteville en désignant la rivière Châteauguay.
Juchereau-Duchesnay approuva.
â Et il est certain que lâennemi descendra du côté nord de la rivière qui est dégagé, alors que le côté sud est boisé.
â Le temps presse. Entre La Prairie, Saint-Philippe, Chambly et Châteauguay, nous avons quatre mille cinq cents hommes en troupes réglées et sept mille cinq cents hommes de milice, confirma Watteville. Mais il nous faut établir notre défense. Que proposez-vous, Salaberry?
â Voyez, mon général.
Sur la carte, le
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