Julie et Salaberry
les autres bâtiments avant lâhiver. Je songe aussi à ma sÅur, la belle madame Talham, comme on dit au village. Mon vÅu le plus cher est de les revoir. Alors, jâme dis que le colonel Salaberry, avec sa femme qui lâattend aussi à Chambly, va tout faire pour quâon revienne chez nous. Allez, mon Louis, faut dormir.
Victoire avait convaincu Marguerite de se rendre chez madame de Salaberry. La mère de Godefroi Lareau connaissait les usages de la société. Lâobligation de remercier dans les formes lâépouse du lieutenant-colonel de Salaberry, dont lâintervention avait été déterminante pour que son fils ait la vie sauve, en faisait partie. Godefroi leur avait tout raconté. De plus, il était tout à fait séant que Marguerite lâaccompagne, en tant quâépouse du docteur Talham, celui qui avait alerté Salaberry quâune injustice se préparait. Marguerite devait se rendre à la raison; cette fois, elle ne pouvait se défiler et elle accompagna sa mère au manoir de Rouville.
â Madame de Salaberry est la marraine de ta fille, dit Victoire à Marguerite. Elle attend le retour de son mari comme nous attendons celui de Godefroi, câest dire que nous partageons tous le même sort. Il me semble que le moment est bien choisi pour lui rendre visite.
â Je nây arriverai pas, dit Marguerite, butée. Je crois même avoir épuisé toutes les excuses inimaginables pour éviter de me retrouver là -bas. Et vous savez pourquoi.
â Pour vaincre ta peur, tu dois lâaffronter, déclara Victoire. Sinon, câest comme un démon qui sâempare de ton esprit, et qui décide pour toi. Celui que tu crains est absent, toutes les troupes sont sur le pied dâalerte, à ce quâon dit. Lâoccasion est belle, elle ne se représentera pas.
Finalement, ces dames se retrouvèrent assises à déguster la collation offerte par Julie dans le petit salon du manoir, tout en échangeant des compliments sur la beauté de leurs enfants, car la petite Marie-Anne accompagnait sa mère et sa grand-mère.
â Je suis ravie de voir à quel point ma filleule a grandi, dit Julie à Marguerite.
Peu farouche, lâenfant blonde souriait à sa marraine qui sâextasiait de la voir déjà marcher.
â Comme le temps passe... soupira-t-elle, se rappelant de lâépoque, pas si lointaine, où elle se désespérait de ne pas être mariée.
â Votre petit garçon est splendide, la complimenta Victoire.
Pendant que les mères énuméraient les exploits de leur progéniture, Victoire repassait dans sa tête ce quâelle allait dire à Julie.
â Madame de Salaberry, jâoubliais de vous transmettre les meilleures salutations de mon mari.
â La santé de monsieur Lareau est-elle bonne? sâinquiéta aimablement Julie.
â Elle se maintient, heureusement, je vous en remercie. Mais il est fort occupé ces jours-ci. Avec tous les hommes valides qui sont à la guerre, il ne reste que les plus jeunes ou les vieillards pour aider au champ.
Victoire prit une gorgée de thé pour se donner de la contenance.
â Jâaimerais vous direâ¦
Elle sâarrêta un instant, comme pour se donner un élan, peu habituée de se lancer dans de longs discours.
â Chère madame, je tiens à ce que vous exprimiez à votre mari notre reconnaissance au sujet de notre Godefroi. Vous qui êtes devenue mère, vous pouvez facilement imaginer les craintes et lâangoisse ressenties par une autre mère.
Une ombre passa sur le visage de Julie. Tout en écoutant Victoire, elle revoyait le docteur et René venus à La Prairie pour supplier son mari dâintervenir, et Charles qui refusait, les accusant de soutenir un lâche. Cette triste histoire avait failli la séparer de ses amis, mais tout était rentré dans lâordre.
En recevant le billet de Marguerite, ce matin, elle avait été heureuse de voir que celle-ci ne nourrissait aucune rancune.
â Chère madame Lareau, dit Julie, je sais bien peu de choses sur ces pénibles événements. Jâai été la première à me réjouir de la libération de votre fils; plus dâune fois, jâai eu lâoccasion dâapprécier le caractère honnête de Godefroi.
â Oh! Votre mari a
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