Julie et Salaberry
sans doute pour la dernière fois de lâété, les dames se gardaient des rayons du soleil qui abîmaient le teint sous des ombrelles colorées.
Sur place, Ovide de Rouville sâétait attribué le rôle dâun chef dâorchestre en distribuant les tâches aux domesti-ques, ordonnant la disposition harmonieuse des nappes blanches déployées sur lâherbe, comme les convives sâinstallaient à qui mieux mieux, certains ayant trimballé chaises ou tabourets pour les dames quâon cherchait à installer confortablement.
Mais après quelques verres de cidre, on en vit perdre lâéquilibre et bientôt, toutes se retrouvèrent en riant sur des coussins posés à même le sol et le repas se poursuivit dans une atmosphère de plaisir et de convivialité.
Les demoiselles Boileau entouraient Julie, ravie de les retrouver. Leur présence la consolait de la mésentente survenue entre elle et Salaberry. «Avec le temps, Charles ne mâen voudra plus», se dit-elle en respirant avec bonheur lâodeur fraîche de foin coupé.
â Goûtez-moi ce jambon, disait monsieur Boileau à lâun des convives qui lâinvitait à partager un morceau de fromage.
â Cette tarte est exquise! apprécia un autre, et les compliments fusaient pendant quâon dégustait les spécialités de chacun.
Bientôt, la jeunesse eut des fourmis dans les jambes.
â Oh! comme câest excitant, Emmélie! Allons nous promener dans les bois, veux-tu?
Zoé pour qui câétait le premier pique-nique avec une aussi belle société, ne tenait pas en place.
Emmélie consulta Julie du regard.
â Ne vous gênez pas pour moi, fit-elle. Dâailleurs, jâai à faire. Elle désigna son nourrisson et chercha un endroit à lâécart pour le faire téter.
â Je verrai si tu as bien appris tes leçons de botanique, dit Emmélie à sa sÅur.
Ovide sâapprocha de monsieur Boileau. Ce dernier avait le cidre joyeux et bavardait aimablement avec le capitaine Pierre Grisé, le fils de feu Antoine Grisé, autrefois notaire à Chambly, un homme apprécié de tous.
â Cher monsieur, je suis ravi de voir que vous vous amusez.
â Jeune homme, je nâavais pas vu pareil événement depuis des années. Riche idée que vous avez eue. Tous ces vieux amis que je nâavais pas croisés depuis des lustres!
â Nous organisons une promenade dans les sentiers. Vous permettez que mademoiselle Boileau mây accompagne?
à peine formulée, la demande fit relever plusieurs têtes.
Le regard de madame de Rouville montrait son mécontentement, cependant quâEmmélie, la principale intéressée, roulait des yeux effarés en direction de son frère, le suppliant dâintervenir.
De son côté, madame Boileau hésitait à accorder sa permission, en voyant lâair de sa fille, mais son époux, gorgé de compliments et de cidre, sâempressa dâaccepter.
â Monsieur de Rouville, vous nous faites grand honneur et, bien entendu, ma fille accepte, répondit-il en se trémoussant.
â Câest impossible, protesta Emmélie. Jâai promis à Zoé de faire la promenade avec elle.
â Monsieur de Rouville est plus de ton âge.
â Jâaccompagnerai Emmélie et Zoé, sâinterposa René.
â Allons, Emmélie nâest plus une fillette, objecta le père qui souhaitait favoriser un rapprochement entre les jeunes gens.
â Ce ne serait pas convenable quâEmmélie se trouve seule avec un monsieur, déclara alors madame Boileau en coupant court à tout autre argument. René doit lâaccompagner, et Zoé peut se joindre à eux si elle le désire.
â Chère madame Boileau, vos paroles sont pleines de sagesse, avança Ovide, dégoulinant dâonctuosité.
Mais Emmélie nâétait pas dâaccord.
â Ah, non! se récria-t-elle. Cela suffit! Je ne tiens pas à vous accompagner. Viens, Zoé!
Et elle entraîna sa sÅur en direction dâun groupe de pique-niqueurs partis explorer les sentiers qui traversaient le sous-bois. Ovide ravala sa déception. Il avait organisé le pique-nique uniquement pour avoir lâoccasion de se promener avec Emmélie à son bras en public.
â Ne vous en faites pas,
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