Julie et Salaberry
ne mâinduira à vous quitter, lui et sa chère maman, pour être le jouet de vils coquins. Ãcris-moi par Antoine et prie ton père de mâécrire un mot de ce quâil pense de ces iniquités. Je gagne des batailles pour le profit des autres. Il faut mettre fin à cela. Tous les offi-ciers qui ont servi sous mes ordres sont frustrés. Le général de Watteville ne sâarroge aucunement le mérite du succès: au moins, il me le dit, mais il faut se souvenir que lui et Prévost sont des Suissesâ¦
Il me tarde dâêtre enfin auprès de toi. Tu me manques terriblement.
Ton fidèle et ardent, Charles de Salaberry
Charles souffla sur ses doigts gelés pour les réchauffer. Il toussait et tremblait, il se sentait fiévreux et souffrait de violentes douleurs arthritiques. Lâodieux Prévost, qui nâhésitait pas à proclamer quâil se comportait comme un «père pour ses enfants», abandonnait les Voltigeurs au froid. Ses hommes étaient dans les bois depuis plusieurs jours, ils avaient creusé les tranchées et, sous la pluie glacée, coupé les arbres pour lâabattis, sâabritant misérablement dans des bâtiments sommaires ou des cabanes. Le sol était maintenant couvert de neige, et les malades allaient par dizaines remplir les hôpitaux de Châteauguay.
â Allez me chercher le voltigeur Lareau de la compagnie Juchereau-Duchesnay.
En attendant lâarrivée du soldat, Charles sâécroula sur le petit lit de camp, harassé. Il avait demandé un congé, mais on tardait à le lui donner. Godefroi Lareau se présenta.
â Comment ça va, mon gars? demanda le commandant avec une douceur surprenante chez lui.
La tristesse se lisait sur le visage du voltigeur.
â Mon ami est mort, fit Godefroi.
Salaberry lâignorait encore. Il fit un effort de mémoire pour se rappeler quâil sâagissait sans doute de Louis Charland, celui qui avait témoigné en faveur de Lareau.
â Je suis désolé, fit Salaberry.
â Il était à côté de moi. Il est tombé, blessé. Ãa aurait pu être moi.
Salaberry tressaillit. Sans le savoir, Lareau remuait le chagrin dâune douleur encore à fleur de peau.
â Je comprends ta peine, avoua le commandant. Moi-même, jâai perdu trois frères à la guerre. Mais je ne les ai pas vus tomber comme toi. Câest terrible, nâest-ce pas? On a lâimpression dâêtre amputé dâune partie de nous-mêmes.
Godefroi eut un long regard de reconnaissance pour ces paroles consolatrices qui lui faisaient du bien. Salaberry exprimait avec exactitude ce quâil ressentait.
â Comment te sens-tu, voltigeur Lareau? Suffisamment en forme pour monter à cheval?
â Par ma vie, oui, mon colonel!
â Alors, trouve une monture pour te rendre à Chambly, et porte cette lettre à madame de Salaberry, qui est au manoir de Rouville. Tu connais cette maison?
â Pour sûr, mon colonel. Tout le monde dans la paroisse connaît le manoir de votre beau-père.
â Câest bon. Pour ta peine, tu prendras cinq jours de congé pour revoir ta famille.
â Ã vos ordres, mon colonel, fit Godefroi, ravi. Comptez sur moi! Merci!
â Lareau, ajouta Salaberry avant de lui signifier quâil pouvait partir, ne manque pas de transmettre mes amitiés à monsieur et madame Talham. Et fais une visite chez les Charland. Tu dois leur parler du courage de leur fils. Sa famille doit apprendre quâil nâest pas mort pour rien. Et il nây a que toi pour le leur dire.
Aussitôt le jeune homme parti, Salaberry lâenvia. Il serait à Chambly demain. Et lui, que faisait-il à grelotter de froid dans cette tente de campagne? Son beau-frère de Rouville était lui-même en congé pour cause de maladie. Rouville! Son beau-père serait mortifié lorsquâil apprendrait que son fils avait supplié Vassal de Monviel, lâadjudant des milices, de le transférer dans un bataillon de la milice dâélite. Rouville se plaignait de la discipline chez les Voltigeurs: trop rude. Quelle mauviette!
â Antoine! Ranime le feu, ordonna Salaberry.
Fatigué, malade et amer, il entoura ses épaules dâune couverture de laine pour se réchauffer.
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Chapitre 29
Le retour des héros
à Chambly comme
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