Julie et Salaberry
ailleurs, la victoire de Châteauguay avait frappé les esprits. Les Canadiens avaient défendu leur pays. Les détails de la bataille étaient encore peu connus, mais on rapportait un nombre toujours plus incroyable dâennemis! Ils étaient onze mille, voire quinze mille à avoir été repoussés par les milices canadiennes et les Voltigeurs â et non par les troupes de lâarmée régulière â grâce à une audacieuse stratégie élaborée par Salaberry.
Au manoir de Rouville, lâattente de nouvelles fraîches devenait insupportable. Julie nâavait reçu aucune lettre de son mari depuis des jours.
â Calme-toi, ma fille, lâenjoignit madame de Rouville. Ãa ne te sert à rien de tâagiter ainsi, tu vas gâter ton lait.
â Mais il est peut-être blessé ou mort et personne ne veut me le dire. Lâannée dernière, le général Isaac Brock a été tué au champ de bataille.
Un malheur semblable pouvait arriver à son mari, songea-t-elle. Elle saisit son mouchoir pour étouffer un sanglot.
â Ma fille, si Salaberry était mort, nous lâaurions déjà appris, la rassura monsieur de Rouville. Les mauvaises nouvelles voyagent plus vite que les bonnes, câest connu. Ton mari tâa écrit tous les jours, je ne vois pas pourquoi il aurait changé ses habitudes. La faute en est certainement au courrier qui circule de façon chaotique depuis Châteauguay.
Mais toutes ces bonnes raisons nâarrivaient pas à faire taire lâangoisse de Julie.
Peu après, Joseph vint lui dire que le voltigeur Lareau avait un message pour elle. Julie se précipita. Soulagée, elle embrassa Godefroi qui avait lâair si heureux de lui apporter de bonnes nouvelles en lui tendant une lettre de Salaberry! Elle sâempressa de le faire asseoir et de lui demander de raconter la bataille.
â Joseph, appela-t-elle par la suite, amène notre ami à la cuisine pour quâil se réchauffe avant de repartir.
â Ah! Ce sera pas de refus! accepta Godefroi, encore tout rougissant dâavoir été si bien accueilli par madame de Salaberry qui lui avait même offert un verre de sherry.
â Et nâoubliez pas de faire mes salutations à votre mère et votre sÅur lorsque vous les verrez, ajouta Julie.
â Alors, demanda le colonel, mis au courant de lâarrivée dâun messager. Que dit-il?
â Que les Américains ne reviendront pas cette année, mais quâil doit rester avec ses hommes dans la forêt, parce que les généraux prétendent quâil y a encore du danger.
â Câest absurde! dénonça son père. Il fait beaucoup trop froid et plus personne ne songe à se battre lâhiver. Tout cela ne servira quâà rendre les hommes malades.
â Lisez, père. Câest Charles qui le demande. Voyez comment il est maltraité.
Atterrée, elle y voyait la trace dâune vengeance mesquine de la part du gouverneur parce quâelle avait refusé ses avances. Mais sa mère qui lâobservait lâempêcha de se faire des reproches.
â Non, tu nây es pour rien.
â Tonnerre! rugit le colonel en terminant la lecture.
La désillusion de Salaberry lui faisait aussi mal que si lâaffront lui était personnellement destiné.
â Câest terrible, ce quâécrit ton mari, ma fille. Je comprends son découragement, mais il ne peut pas quitter lâarmée maintenant.
â Je nâai quâun désir, dit Julie, câest quâil revienne ici pour se soigner. Coucher dehors, alors quâil fait froid et quâil neige... Et pour tout dire, mon mari me manque.
â Voilà , lâencouragea madame de Rouville. Câest tout ce qui doit te préoccuper, à partir de maintenant. Le retour de ton mari. Oublie le reste.
Le colonel sâétait éloigné en fulminant. Câétait une insulte, une ignominie! Il comprenait Salaberry de vouloir quitter lâarmée. Mais il ne pouvait pas laisser faire cela sans riposter.
Monsieur de Rouville ruminait une petite idée. Il allait écrire à Louis de Salaberry. Lui seul pouvait empêcher son fils de commettre une aussi grave erreur. Si Salaberry démissionnait, il porterait lâodieux dâabandonner lâarmée en pleine guerre. Il ne serait
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