Julie et Salaberry
les Yankees sont repartis pour lâhiver.
â Vous avez raison, approuva Prévost. Passons à lâestimation des troupes en présence.
â Un prisonnier affirme que son armée comprenait six mille hommes. Je propose de nous appuyer sur cette source et même dâaugmenter légèrement ce nombre à sept mille cinq cents soldats.
Prévost nâhésita pas un instant à approuver la proposition de Baynes.
â Un stratagème qui nous avantagera, fit Baynes en poursuivant sa réflexion. Londres comprendra ainsi quâil faut de nouvelles troupes. Nous aurons besoin de renfort de ce côté-ci de lâAtlantique lorsque la guerre reprendra, lâannée prochaine.
Prévost opina gravement. La bataille de Châteauguay arrivait à point nommé pour redorer ses mérites de commandant en chef des forces britanniques en Amérique du Nord. Il avait été critiqué pour sa stratégie du raid de Sacketts Harbour, sur le lac Ontario, dans le Haut-Canada, qui avait échoué. Châteauguay lui permettrait de retrouver lâestime de ses supérieurs, à Londres.
â La victoire de Châteauguay vous revient de droit, Sir. Nâêtes-vous pas le commandant en chef des troupes? soutint encore Baynes pour flatter Prévost.
â Exact, approuva le gouverneur. Jâai eu le flair de choisir Salaberry pour commander cette position. Il faut le dire. Et mentionnez, je vous prie, que Watteville a choisi et approuvé lâemplacement des défenses.
Baynes écrivit volontiers ces mensonges. Surtout que la pensée quâun Canadien, même sâil était officier britannique, sâenorgueillisse dâune belle victoire indisposait au plus haut point lâadjudant général.
â Rappelez, bien entendu, que le lieutenant Salaberry a mené ses troupes avec bravoure, mais que jâétais sur le champ de bataille pour encourager les hommes.
â Je propose que nous formulions ainsi, dit Baynes en citant: Tel un père, le général Prévost est arrivé sur le champ de bataille à temps pour insuffler le courage aux combattants .Â
â Avec ce talent pour résumer mes pensées, vous devriez vous lancer en littérature, mon cher, ironisa Prévost à qui lâadjudant général répondit par un regard complice.
Déformer légèrement la réalité pour amoindrir le mérite de Salaberry, sans le lui enlever totalement, tout en distribuant les éloges aux uns et aux autres, afin que le commandant des Voltigeurs apparaisse comme un brave parmi eux, sans plus. Ainsi rédigé, lâordre général, publié dans la Gazette de Québec , ajouta à la confusion ambiante.
En furie, Salaberry débarqua chez Watteville en brandissant un exemplaire de la Gazette de Québec .
â Avez-vous lu lâordre, général? Les piquets mis à lâavant pour protéger les travailleurs sous la direction du lieutenant-colonel de Salaberry⦠à croire que jâétais à la tête dâune bande de bûcherons! Et il y a pire: Son Excellence, le gouverneur en chef et commandant des forces, ayant eu la satisfaction dâêtre lui-même témoin de la conduite des troupes en cette brillante occasion, se fait un devoir et un plaisir de payer le tribut dâéloge qui est si justement dû au major général de Watteville et aux arrangements admirables quâil a pris pour la défense de son poste.
Salaberry fulminait.
â Il semble que vous ayez tout fait et moi, je nâai eu quâà commander des coups de clairon! lança-t-il avec un coup de poing sur la table.
La colère de Salaberry se justifiait et Louis de Watteville était gêné. Le texte de Baynes et Prévost nâétait en fait quâun tissu de mensonges, mais agrémenté de vérités et tourné de telle manière quâil était difficile de les accuser de mauvaise foi.
â Jâavoue ne pas comprendre, Salaberry. Dans mon rapport, je vous avais attribué tout le succès de lâaffrontement, je peux le jurer. Dâailleurs, vous le savez, vous avez reçu dès le lendemain mon ordre de brigade et mes félicitations. Personne ne doute de votre courage, de la perspicacité de votre jugement. Câest vous qui avez gagné cette bataille, et personne dâautre. Je refuse de me voir
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