Julie et Salaberry
attribuer la paternité du système de défense, alors que je nâai fait quâinspecter vos installations, puisque cela relevait de ma responsabilité. Et je nâavais rien à y ajouter, puisquâelles étaient parfaitement planifiées.
Mais la sincérité de Watteville et ses excuses ne servirent à rien. Salaberry était humilié. Et son supérieur cherchait encore à comprendre ce qui avait motivé Prévost à tricher à ce point. Pourtant, il estimait lâhomme. Dès son arrivée au pays, lâété dernier, sa femme et lui avaient immédiatement sympathisé avec Sir George et Lady Prévost. Mais il y avait Baynes qui, dans lâombre, tirait les ficelles.
â Je ne sais pas quoi vous dire, mon ami, sinon que ni vos hommes ni la population canadienne ne sây tromperont. Cette victoire est la vôtre.
Mais aucune parole ne pouvait effacer lâoutrage fait à Salaberry. Châteauguay, câétait la chance quâil attendait. Et Prévost sâen emparait. Au vu et au su de tous, il lui retirait sa victoire.
Prévost! Comme il le haïssait! Mais il ne lâemporterait pas en paradis. Il lui tordrait le cou, à ce salaud!
De retour à Montréal, Prévost avait convoqué son secrétaire personnel pour dicter une lettre à Lord Bathurst, le ministre de la Guerre en Angleterre. Dans cette lettre officielle que personne ne lirait au Canada, le compte rendu de la bataille de Châteauguay se révélait encore plus mensonger que le texte publié dans la Gazette de Québec .
Quartier général, Montréal, 30 octobre 1813
My Lord,
Jâai lâhonneur de transmettre mon rapport à Votre Grâce. Le major général Hampton a occupé avec une force considérable une position sur la rivière Châteauguay, près de lâendroit appelé Four Corners. Le matin du 26 courant, sa cavalerie et ses troupes dâinfanteries ont découvert nos avant-postes. Le lieutenant-colonel de Salaberryâ¦
Â
Prévost dictait, décrivant les manÅuvres effectuées sous les ordres de Salaberry provoquant le retrait de lâarmée de Hampton, reprenant le rapport de Watteville. Il sâarrêta pour faire une pause avant dâajouter cette petite phrase qui avait déjà été publiée dans les journaux:
Heureusement, je suis arrivé sur la scène du combat peu après le début de lâaction. Jâai vu la conduite des troupes au cours de cette glorieuse occasion.
Le secrétaire arrêta le mouvement de la plume et leva la tête.
â Câest donc vrai, Sir? Vous êtes arrivé au début de lâaction?
â Nâest-ce pas exactement ce que je viens de dire? répondit Prévost.
â Nul doute que votre présence a dû encourager les troupes lorsque vous donniez vos ordres au lieutenant-colonel de Salaberry, commenta le secrétaire, admiratif. Cela vous vaudra sûrement des félicitations de Londres.
â Nul doute, en effet, grommela Prévost pour lui-même.
La gloire de ce fait dâarmes lui revenait. Qui allait croire, à Londres, quâun simple lieutenant-colonel canadien pouvait accomplir un tel exploit sans le soutien dâun général de son envergure?
â Continuons:
Je remercie le général Watteville pour les sages mesures quâil avait prises pour défendre sa position et le lieutenant-colonel de Salaberry pour le jugement quâil a démontré. Et je profite de lâoccasion pour solliciter humblement Votre Altesse Royale le prince régent, en signe de sa gracieuse approbation pour la conduite des bataillons de la milice canadienne, de remettre les couleurs aux premier, deuxième, troisième, quatrième et cinquième bataillons de la milice.
â Et aux Voltigeurs canadiens, ajouta le secrétaire.
â Non, lâarrêta Prévost.
Devant la mine stupéfaite de son secrétaire, le gouverneur se justifia.
â Pour les Voltigeurs, nous ferons une demande à part, assura-t-il, tout en ayant fermement lâintention de ne pas le faire.
Aucun scrupule ne retenait Prévost. Il nâallait même pas demander les drapeaux pour les Voltigeurs, câest-à -dire lâautorisation de faire inscrire le nom de la victoire sur leurs étendards, honneur normalement accordé aux régiments victorieux.
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