Julie et Salaberry
Salaberry et ses hommes ne recevraient ni honneur ni médaille pour lâexploit de Châteauguay. Et Salaberry nâobtiendrait aucun secours de la part de son protecteur, le duc de Kent.
Prévost se flattait dâavoir bien manipulé Louis de Salaberry. Il sâétait interposé habilement entre le duc et le père éprouvé, sachant que ce dernier rendait Son Altesse Royale responsable de la mort de ses fils. Prévost misait sur le fait que lâancien protégé de Kent nâaurait pas lâaudace de reprendre sa correspondance avec le prince. à Londres, personne en haut lieu nâinterviendrait pour le contredire et la version officielle de la bataille de Châteauguay serait la sienne. Le duc de Kent ne connaîtrait jamais la vérité.
Dans cette version où Salaberry tenait quand même un beau rôle, on faisait pourtant comprendre quâil nâavait pas agi de son propre chef. Salaberry protesterait peut-être, mais lorsque ses récriminations atteindraient lâAngleterre, elles ne convaincraient personne. Les esprits se seraient déjà faits à lâidée que Châteauguay était la victoire de Prévost. On oublierait bien vite ce pauvre officier canadien. Comme Prévost lui-même qui le laissait geler dans les bois, où Salaberry se trouvait toujours avec ses hommes, suivant les ordres quâil avait donnés. Il avait même neigé ces derniers jours. Mais qui pouvait jurer que lâennemi ne reviendrait pas? Il était du devoir du commandant en chef de laisser les Voltigeurs en poste sur le champ de bataille tant quâil ne serait pas définitivement certain que lâennemi était rentré chez lui. Lâannée dernière, nây avait-il pas eu des affrontements jusquâau mois de novembre? Il se devait de jouer de prudence avant de permettre à Salaberry de réintégrer ses quartiers dâhiver.
Prévost avança ses mains auprès du feu comme pour les protéger. Il songea à ces pauvres soldats dans les bois de Châteauguay. Comme ils étaient braves!
Près de la rivière aux Anglais, 2 novembre 1813
Ne perds point cette lettre, il y a des idées dont je pourrais me servir plus tard.
Ma chère Julie,
Je tâapprends avec plaisir que lâarmée américaine est retraitée à Four Corners, à lâintérieur de leurs frontières, et, en conséquence, je présume que nous prendrons bientôt nos quartiers dâhiver. Cela ne peut point arriver trop tôt pour moi qui brûle de jouir du bonheur de revoir ma chère femme et mon enfant. Je suis actuellement dans les bois près de la rivière aux Anglais, mais mes hommes sont toujours en alerte à lâabattis, aux postes et positions que jâavais pris et où jâai rossé les Yankees.
Jâai reçu ta lettre du 27 â câest la dernière qui me soit parvenue de toi. Elle a été longtemps en chemin. Jâimagine que, depuis, tu auras appris le détail de mon combat dont on a fait le compte rendu dans les journaux. Les généraux ne sont arrivés quâaprès lâaffrontement et Sir George a menti lorsquâil a dit quâil a été témoin de la conduite des troupes. Le général Watteville est aussi arrivé après le combat. Dans les gazettes, où lâon reproduit le rapport de Prévost, lâon mâôte une partie du mérite pour en donner au général Watteville et surtout à Sir Prévost, en disant quâil a été témoin de lâaction, ce qui donne à croire que câest lui qui a gagné. En fait, Prévost nâa jamais été présent sur le terrain tout le temps quâa duré lâaffrontement. Le rapport officiel rédigé par le méprisable Baynes veut faire croire que la victoire nâest pas si importante, quâelle ne vaut pas la peine que le gouverneur en prenne gloire, tout en laissant entendre exactement le contraire.
Câest une indignité. Voilà les remerciements! Jâai écrit au gouverneur pour protester et si je nâobtiens pas satisfaction de ces injustices, je lâenverrai au diable, lui et son armée.
Je suis enragé et fais le serment de ne plus jamais mâexpo-ser pour eux. Montre cette lettre à ton père. Embrasse mon cher petit pour moi et dis-lui que jamais lâambition
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