Julie et Salaberry
déplora Marguerite.
â Nous nâavons pas moins de musique, puisque les demoiselles Boileau jouent également, mais jamais avec le talent de la famille Bédard, soupira Julie. Nous parlons surtout de littérature ces derniers temps. Câest-à -dire que nous écoutons Emmélie et mon père commenter leurs lectures.
â Voilà qui plaira à mon frère, déclara Rosalie. Il éprouve une telle passion pour la lecture que je me demande si elle ne lui tient pas lieu de maîtresseâ¦
Elle riait de sa plaisanterie.
â Sâil mâentendait, il me menacerait des pires supplices, sans lâombre dâun doute. Et quand aura lieu la prochaine de ces rencontres qui mâapparaissent tout à fait charmantes? demanda-t-elle.
â Demain soir, mademoiselle Papineau, sâempressa de dire le notaire. Et vous êtes invitée, bien entendu.
â Mais il nâen est pas question. Je ne suis pas venue jusquâici pour faire de belles manières dans les salons, mais pour aider Marguerite.
â Votre cousin le major de Salaberry y sera également, fit René en sâadressant à Julie.
â Oh! laissa tomber subitement Julie en posant une main sur sa bouche.
Le cher René venait de lui rappeler quâil y avait, au manoir de Rouville, un visiteur qui requérait son attention.
â Ainsi, déclara alors Rosalie en interprétant le rouge qui avait couvert le visage de Julie, câest pour vous que Salaberry est venu à Chambly? Sur la route, il a mentionné une vague affaire de famille, sans préciser laquelle. Y aurait-il un projet de mariage dans lâair?
Ses yeux pétillaient de curiosité. Mais Julie lui aurait volontiers tordu le cou! Câétait une chose bien stupide que mademoiselle Papineau venait de dire là , et particulièrement devant René.
â Monsieur de Salaberry est tout simplement venu faire une visite de courtoisie à mon père qui est un cousin de madame de Salaberry, se défendit la demoiselle.
â Si vous le dites, déclara Rosalie. Jâignorais que vous étiez parents. Les Salaberry comptent parmi les familles les plus influentes de Québec. Il paraît que le père est un homme au caractère particulier. On rapporte quâil a le cÅur sur la main, mais explose en colères prodigieuses sâil est contrarié.
â Un authentique gentilhomme de lâAncien Régime, commenta le docteur Talham, qui sâétait levé pour tendre une mince éclisse de bois dans le poêle qui réchauffait la pièce afin dâallumer sa pipe. Comment est le fils?
â Je ne saurais vous dire, répondit Julie en prenant un air parfaitement détaché. Mais tout cela me rappelle que je dois vous laisser, mes amis.
Elle partait à regret. Dire que René venait à peine dâarriver! Ils auraient pu poursuivre la conversation, aborder dâautres sujets, se trouver des affinités, développer une inclination. La demoiselle de Rouville soupira quand le notaire sâextirpa de sa position confortable pour lâaider à se lever. Elle profita de ce quâil lui tendait sa main aux longs doigts tachés dâencre pour la serrer plus quâil nâen fallait, mais René crut quâelle perdait lâéquilibre en se relevant et serra la sienne uniquement pour lâempêcher de tomber. Ce qui faisait beaucoup dâémotions en un seul après-midi pour Julie de Rouville!
â Vous mâavez permis de passer un moment très agréable, dit-elle en remerciant Marguerite. Vous me ferez prévenir lorsquâil sera temps, nâest-ce pas? En tant que marraine, je tiens à ma prérogative de tenir lâenfant sur les fonts baptismaux.
Victoire contempla le ventre de sa fille.
â Ce sera une fille, assura-t-elle.
â Et dâoù vous vient cette certitude? interrogea le docteur, plein de suspicion.
Il voulait bien admettre que les vieux savoirs paysans reposaient parfois sur des observations pertinentes, sa belle-mère descendait dâune lignée de sages-femmes, mais ses prédictions sans fondements scientifiques lui semblaient de la même farine que la ceinture de sainte Marguerite censée protéger les accouchées ou les autres superstitions entourant la naissance.
â Je le sais, câest tout, répondit Victoire, empruntant justement ce ton
Weitere Kostenlose Bücher