Julie et Salaberry
Marguerite.
â Tu sais que tu es toujours le bienvenu, répondit cette dernière en le plaignant.
Dans ce litige qui impliquait sa famille, René tentait désespérément de demeurer neutre. Une situation qui le mettait à dure épreuve et risquait dâentacher sa réputa-tion de juriste. Déjà , certains clients brassant des affaires avec Bresse ou Lukin avaient annulé des rendez-vous. Par contre, même si le fait quâil vienne se réfugier chez elle la touchait, Marguerite aurait préféré quâil ne la voie pas dans son état, gênée quâelle était par la lourdeur dâune fin de grossesse.
â Je comprends votre embarras, dit le docteur au notaire. Mais sâil y a quelquâun qui peut ramener un peu de bon sens dans cette paroisse, câest bien vous.
â Puisque tu es ici, dit alors Victoire, assieds-toi que je te serve une tasse de thé.
â Merci, tante Victoire. Ce nâest pas de refus, répondit René.
Son visage avait retrouvé son expression coutumière dâhomme du monde.
â Docteur, jâai été inspiré en venant chez vous. On y trouve la plus charmante compagnie qui soit. Mesdemoiselles, veuillez excuser mon attitude grossière, dit-il en saluant enfin Julie et Rosalie.
Comme il y avait une place libre à côté de Julie, il sâenfonça dans le sofa et prit ses aises.
â Nous connaissons bien votre père qui doit rugir comme un tigre dans sa cage, balbutia Julie avec lâimpression que ses joues se couvraient de rose.
De lâavoir près dâelle lui procurait un vif émoi.
â Mon père affirme que dans cette affaire, chacun a ses torts, continua-t-elle.
â Je suis heureux de vous lâentendre dire, lâapprouva René. Tout ce que je souhaite, câest que mon père lâche un peu de lest et laisse le curé tranquille. Notre pasteur a tout à fait raison en prétendant que la fabrique, câest-à -dire toute la paroisse, nâa pas à contribuer aux réparations.
â Je vous plains, dit Rosalie. En attendant que cette malheureuse affaire ne se règle, voici un morceau de gâteau. Avec le thé, il nây a rien de meilleur pour se consoler des tourments infligés par les autres.
René se mit à rire.
â Merci, mademoiselle Papineau. Votre réconfort me touche. Et comment va mon bon ami, votre cousin Louis-Michel Viger? Il y a longtemps que je nâai eu le plaisir de le voir.
â Câest que vous ne venez plus à Montréal aussi souvent quâautrefois, répondit Rosalie.
â Je mérite vos reproches et promets dâaller en personne me faire pardonner en mâempressant dâaller porter mes salutations à votre père, mon estimé collègue, dès mon prochain voyage à Montréal. Ce qui me fait penser que jâai vu votre frère, ce matin. Il viendra à la soirée dâEmmélie.
â La soirée dâEmmélie? Quâest-ce? Vous mâintriguez, monsieur Boileau.
â Que je vous explique, sâempressa de répondre Julie. Vous permettez? dit-elle en se tournant vers le notaire, à qui elle avait pour ainsi dire coupé la parole.
â Faites, chère demoiselle, insista galamment René. Vous êtes un témoin beaucoup plus impartial que votre serviteur.
Elle le remercia dâun sourire éclatant et porta gracieusement sa tasse à ses lèvres avant de la reposer sur la soucoupe et dâexpliquer à Rosalie:
â Les soirées de mademoiselle Boileau constituent le principal divertissement de notre petite société. Même mon père, le colonel de Rouville, qui a passé sa jeunesse en France, affirme quâelles nâont rien à envier à celles des grands salons parisiens.
â Comme à Paris? Câest tout à fait prodigieux, déclara Rosalie.
â Nous échangeons aimablement sur divers sujets. Les uns commentent le contenu des journaux ou une lecture qui les a impressionnés, les autres racontent leurs voyages. Mais la plupart du temps, nous faisons une partie de cartes ou de trictrac. Souvent, mademoiselle Bédard et son frère, le curé, jouent du piano-forte à quatre mains.
â Malheureusement, depuis la dispute autour du ponceau, le curé interdit à Marie-Josèphe dâadresser la parole à mes cousins Boileau,
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