Julie et Salaberry
signifiait: «Je vous déteste.»
Lâincident fut suivi dâun silence troublant et des regards gênés partaient dans toutes les directions sans savoir où se poser.
â Cousin, ces manières sont indignes dâun gentleman, sâindigna Salaberry. Vous devez des excuses à mademoiselle Boileau.
â Vous avez raison, dit Ovide, en faisant mine dâêtre contrit.
Mais il avait atteint son but: montrer publiquement quâil était amoureux dâEmmélie.
â Mademoiselle Boileau, veuillez accepter mes excuses. Mon désir de vous plaire mâa poussé à ⦠un geste inconsidéré.
Emmélie nâeut dâautre choix que de signifier quâelle pardonnait et Salaberry se demanda pourquoi Ovide cherchait à sâimposer auprès dâune jeune fille qui, visiblement, se montrait si peu intéressée. Lui-même ne ferait jamais le pantin devant une femme.
â Salaberry, intervint monsieur de Rouville, vous mâobligeriez en racontant à nos amis ce fameux duel avec un Prussien.
Son ton joyeux fit diversion. Le récit quâil réclamait avait fait le tour des salons de Québec grâce à Louis de Salaberry, intarissable au chapitre des exploits familiaux. Mais Salaberry hésitait encore.
â Je crains dâoffusquer la délicatesse de ces dames.Â
â Je vous en prie, major! insista Sophie, lâenjôleuse. Régalez-nous dâune bonne histoire. à Chambly, il ne se passe jamais rien.
â Permettez, père, que Salaberry raconte son aventure du Prussien, supplia à son tour Zoé. Je ne suis pas trop jeune, nâest-ce pas? Ãa ne peut pas être pire que les récits de torture des Indiens de lâancien temps?
â Demandons à ta mère, répondit monsieur Boileau qui désirait connaître lâanecdote pour la consigner dans ses mémoires.
â Monsieur de Salaberry, fit alors la noble dame, si notre ami le colonel le demande, câest que votre aventure est certainement remarquable et je suis impatiente de lâentendre de la bouche même du héros.
Avant de capituler, Salaberry promena son regard parmi les invités. Julie, toujours assise à côté du notaire, lui adressa un sourire dâencouragement.
â Puisque les dames insistent, jâai le devoir de les satisfaire, déclara lâofficier. Mais à la condition que ma cousine Julie me pardonne à lâavance mes fautes de français, ajouta-t-il dans un sourire charmeur.
Tout le monde se mit à rire et Julie entra volontiers dans le jeu:
â Charles, vous êtes déjà tout pardonné.
Ce dernier sâinclina devant elle dâune manière très théâtrale, suscitant de nouveau les rires. Pendant ses années de collège, Salaberry avait appartenu à une petite troupe et possédait un talent dramatique dont il usait volontiers en société.
â Ma chère cousine, permettez que je vous dédie ce récit.
Et il se tourna vers le père dâEmmélie:
â Ce qui signifie également, cher monsieur, quâil faut servir au conteur une rasade de votre meilleur rhum.
Devant une assistance qui sâimpatientait, monsieur Boileau sâexécuta en brandissant une bouteille et un verre quâil tendit à Salaberry. Dûment équipé, il leva son verre devant Julie et avala dâun trait le précieux liquide.
â Je suis prêt.
Il entreprit de narrer avec force gestes et mimiques appropriées, ménageant des pauses opportunes qui permettaient à son auditoire de bien sâimprégner de lâatmosphère.
â Jâétais affecté aux Indes occidentales, en Jamaïque plus précisément. Mon régiment était composé dâhommes de diverses nationalités: Anglais, Suisses, Prussiens et, bien entendu, quelques Canadiens. Un matin, attablé devant mon petit déjeuner, on mâapprend quâun des nôtres est mort la veille, des suites dâun stupide duel. La tristesse mâenvahit aussitôt dès que jâeus appris son nom: Desrivières, lâun de mes plus chers amis.
â Je me rappelle en effet avoir entendu parler de la mort de ce lieutenant, il y a quelques années, commenta monsieur Boileau.
â Je contemplais mon repas sans appétit, lorsque jâentendis un officier prussien se vanter en ces termes:
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