Julie et Salaberry
êtes sorti. Allez-y, expliquez-nous comment.
Salaberry reprit le fil de son récit.
â Insouciant, je jouais ma vie au nom de lâhonneur. Un combat acharné sâensuit. Je prévois ses coups. Mais je sens que je mâépuise à parer les attaques.
â Mon Dieu! se troubla Julie.
â Câest là que ma jeunesse me sauva la vie, dit doucement Salaberry, comme pour la rassurer.
â Mais comment? demanda Papineau.
â Lâhomme, plus âgé que moi, commence enfin à montrer des signes dâessoufflement. Je suis moi-même épuisé, mais jâignore ma fatigue, je me crois invincible.
Salaberry reprit sa pose de combat.
â Je feinte à droite, sâemporta-t-il en faisant le geste. Et avant même quâil puisse riposter, je lui assène un coup de revers dans les côtes. Coupé en deux, lâhomme sâécroule.
â Mort? demanda une voix horrifiée qui fit sursauter Emmélie.
â Mort, conclut Salaberry, tout en cherchant son mouchoir.
Il avait le visage couvert de sueur et dans sa poitrine, son cÅur battait violemment.
â Je tremble encore à la pensée que vous avez risqué votre vie, laissa tomber Julie dâune voix blanche, comme si le combat venait réellement de se dérouler sous ses yeux.
â Câétait une question dâhonneur, je nâavais pas le choix, expliqua Salaberry. Croyez-vous que le chevalier des Grieux eût agi de même? demanda-t-il en riant.
â Non, je ne le crois pas, répondit-elle, encore tremblante.
â Ma chère cousine, voyez, je suis bien vivant, dit-il, attendri de la voir bouleversée.
â Je suis sotte! déclara Julie.
â Pas du tout. Vous avez eu peur pour moi et jâen suis touché.
Pour toute réponse, elle lui offrit un sourire quâil trouva délicieux.
Moins émue que la demoiselle de Rouville â elle désapprouvait les duels â, Emmélie avait dirigé son regard vers les portes du salon. à sa grande surprise, elle aperçut Françoise Bresse â câétait bien elle quâEmmélie avait entendu sâexclamer â, entourée de son époux et de messire Bédard. Derrière eux, Marie-Josèphe lui adressait des signes de la main en se haussant sur la pointe des pieds. Les nouveaux venus nâavaient pas manqué un mot du récit de Salaberry, mais personne nâavait remarqué leur arrivée tant tous étaient captivés.
â Par tous les saints! sâexclama le curé sous le choc en se tamponnant énergiquement le front.
Sa présence imprévue jeta un grand silence parmi les invités.
Pour sa part, Emmélie ne savait plus si elle devait rire ou pleurer.
â Oh! Chère madame Bresse, sâécria-t-elle finalement en se précipitant vers sa voisine quâelle étreignit sans réserve. Je nâai jamais été aussi heureuse de vous voir.
â Moi aussi, ma chère Emmélie, répondit Françoise, essuyant furtivement une larme tout en détaillant Salaberry, ses beaux yeux noirs pleins de questions. Je crois que jâaurais manqué la meilleure soirée de lâannée. Mais je vous en prie, présentez-moi ce splendide gaillard qui découpe les gens en morceaux.
Emmélie sâexécuta. Mais il y avait menace de guerre dans le salon des Boileau. Le plaisir de revoir ses amis sâestompa lorsquâelle croisa le regard furibond de monsieur son père. Paniquée, elle chercha des yeux le colonel de Rouville. Heureusement, ce dernier était déjà à lâaffût: pas question de laisser les belligérants sâétriper et transformer les lieux en champ de bataille.
â Bédard! tonna-t-il de sa voix de stentor en interceptant le curé pour lâentraîner de force à une bonne distance de Boileau. Vous avez enfin délaissé vos patenôtres et votre prie-Dieu?
Salaberry, qui avait immédiatement saisi les intentions de Rouville, se précipita vers le prêtre en lui présentant ses civilités.
Muselé, le curé Bédard afficha une politesse de salon tout à fait digne de ses attributions, pendant quâà lâautre bout de la pièce, René sâingéniait à entourer son père dâune véritable forteresse humaine, grâce à la complicité de Papineau, de Drolet et
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